Jean-Rodolphe Perronet est né en 1708 d'un père officier aux Gardes Suisses qui décédera alors qu'il est très jeune. Il mourra à 85 ans, en 1794, premier ingénieur du Roi et premier directeur de l'école des Ponts et Chaussées. C'est donc l'exemple d'une belle ascension sociale sous l'ancien régime. Il sera anobli en 1763 et beaucoup plus tard la jeune république lui accordera une pension de 22 600 livres.
Il a participé aux 13 grands ponts du XVIII e siècle: il en a dessiné et construit 11 (dont les principaux sont Neuilly, Pont-Sainte-Maxence et la Concorde), a terminé le pont d'Orléans et a commencé celui de Nemours.
Perronet est pour l'utilisation de la science dans son art et la rationalisation des chantiers.
Dans un domaine comme l'artillerie, la mécanique de Newton parait d'application immédiate mais celle-ci néglige la résistance de l'air et les canons ne sont pas rayés, donc imprécis. L'artilleur utilise des tables "pratiques" conçues deux siècles plus tôt par Niccolo Tartaglia.(1)
Dans la conception des navires la science est également impuissante malgré le début du développement de la mécanique des fluides par D'Alembert : leurs dimensions sont simplement commandées par le nombre et la grosseur des canons (2).
La géométrie se développe à partir de problèmes concrets comme la coupe des pierres ou à la résistance des voutes. La Hire (3) avait déterminé en 1695 la répartition du poids des voussoirs pour une voute demi-circulaire. En 1712, il part d’une constatation expérimentale: les voutes cèdent d'abord en un point situé à 45° de la verticale. Il considère cette partie supérieure comme un coin cherchant à écarter les pied-droits et il détermine ainsi en regardant les leviers leur dimensionnement.
Dans le domaine des ponts, le XVIII e siècle marque une évolution importante : plus de dos d’âne, voutes minces et piles étroites. Tout cela doit un peu aux mathématiques mais surtout à des expériences sur la résistance des matériaux et leur emploi. Perronet sera le principal artisan de cette évolution.
La coutume était de donner aux piles une largeur égale au 1/5 e de l'ouverture des arches. Perronet constate que l'épaisseur d'une pile serait, suivant la méthode de la Hire, énorme pour supporter la poussée et qu'elle ne doit donc pas être calculée comme un pied-droit mais simplement comme devant supporter le poids du pont, la limite étant la résistance à l'écrasement de la maçonnerie (que l'on sait calculer), la bonne pratique étant d'y ajouter une forte marge de sécurité (4).
Perronet adoptera pour le pont de la Concorde des piles divisées en 2 massifs carrés de 11 pieds ( 1 pied = 32,5 cm) avec des colonnes engagées de 9 pieds de diamètre à chaque extrémité pour une ouverture des cinq arches comprise entre 72 et 88 pieds, la largeur du pont étant de 36 pieds. Au dessus des demi colonnes des piles se trouve un entablement qui supporte le trottoir..
Les voutes traditionnelles sont des demi-arcs de cercle, ce qui augmente la hauteur du pont (5). A la Concorde (comme à Neuilly) les voutes sont "surbaissées" car décrites par des portions d'arcs de rayons compris entre 117 et 126 pieds. Leurs naissances est à 18 pieds au dessus des basses eaux et elles n'ont que 4 pieds d'épaisseur à leur clef.
Le pont est prévu parfaitement horizontal d'aspect extérieur, ainsi que le trottoir, mais la chaussée pavée aura une pente de part et d'autre de l'arche centrale pour l'écoulement des eaux de pluie.
A la fin de sa vie, en 1793, le citoyen Perronet écrira un mémoire sur la réalisation de ponts dont la portée serait de 200 à 500 pieds. Il s'agit seulement de la conception d'un pont en pierre, de l'amélioration des techniques existantes. Il ne prévoit pas la révolution que le fer va introduire dans le domaine des ponts alors que l'Iron Bridge était construit depuis 1779 et que le Jacob's Creek, le premier pont suspendu au monde, le sera en 1801..
Pour construire un pont il faut d'abord battre des pieux dont la pointe a été durcie au feu ou "armée de fer" à l'aide d'une sonnette dont le mouton est levé par une vingtaine d'hommes. Il faut une centaine de pieux pour servir d'armature à un batardeau, une enceinte que l'on va vider d'eau pour construire la pile. On drague ensuite les vases à l'intérieur du batardeau pour obtenir un sol ferme. L'épuisement de l'eau à l'intérieur du batardeau peut se faire "à l'aide pompes à chapelet servies par une douzaine d'hommes relevés de deux heures en deux heures" mais Perronet préfère se servir du courant du fleuve: les pompes sont actionnées par une roue à aube.car il calcule que cela est plus économique car la machine épargne au total l'emploi "de cent quarante hommes par jours soit 240 livres"(6).
Il est ensuite nécessaire de battre de l'ordre de 500 pilotis de chêne pour fonder la pile (7). On élève ensuite les pierres maçonnées "à chaux et à sable" (8) sur les pieux. Il faut ensuite créer des cintres de bois qui vont supporter la maçonnerie des voûtes. On les élève un peu plus haut que nécessaire car l'on sait qu'ils vont se tasser sous le poids de la maçonnerie. Cette charpente a elle même besoin d'être soutenue lors de sa construction. Ceci peut être réalisé à l'aide d'un pont de service sur lequel elle reposerait provisoirement mais il est plus économique de la soutenir à l'aide de mats haubanés qui servent à la mise en place et au maintien des fermes. On procède ensuite à la maçonnerie des voûtes. jusqu'à l’établissement de la chaussée mais sans élever les parapets.
C'est alors la cérémonie du décintrement, un spectacle très prisé (Louis XV assista à celui du pont de Neuilly) ou on abat les cintres de bois à l'aide de cabestans, la manœuvre étant presque simultanée pour toutes les piles afin de rendre le spectacle plus impressionnant. On laisse se tasser les voûtes (c'est pour cela que l'on n'a pas fini le dessus du pont), on arase le pont et on construit les parapets et les trottoirs.
Perronet fait constamment des expériences sur son chantier. Par exemple il veut calculer ce que lui coûtera l'approvisionnement en matériaux. Il va d'abord essayer avec un camion de 7 pieds cube tiré par un cheval dans 7 conditions de pente et de distance, puis par deux camions tiré par un seul cheval, puis par trois camions de 21 pieds cubes... Il en déduit un coût standard dans chacune des configurations.
L'ingénieur en charge du chantier est Dumoustier, le chantier démarre en 1787 et achoppe immédiatement sur ce qu'en termes modernes on désigne par des "revendications salariales" qui seront partiellement satisfaites. le chantier emploiera plus de 1200 ouvriers et se poursuivra malgré les événements révolutionnaires
Dans son premier projet, vers 1750, Perronet évalue le pont à 1 200 000 livres, il révise ensuite son chiffre à 2 millions et finalement le pont coûtera 3 millions mais il écrira "qu'un dépassement est inévitable dans ce genre de grands travaux" ( phrase qui sera beaucoup utilisée par d'autres par la suite).
La réalisation n'est pas exactement celle qu'avait prévue Perronet: les piles sont un peu plus fortes, les voûtes plus hautes d'un mètre à cause des différences de tassement, le pont n'est pas plat, on a supprimé pour des raisons d'économie les obélisques de bronze qui devaient couronner les piles... mais le pont Louis XVI (9) est une réussite.
Vers la fin du chantier le pont est renommé "pont de la révolution". En 1791, on utilisera des pierres de la Bastille.
Napoléon voudra y installer des statues de généraux, Louis XVIII y installera des statues des grands hommes, lesquelles seront exilés à Versailles en 1836.
Il a participé aux 13 grands ponts du XVIII e siècle: il en a dessiné et construit 11 (dont les principaux sont Neuilly, Pont-Sainte-Maxence et la Concorde), a terminé le pont d'Orléans et a commencé celui de Nemours.
Perronet est pour l'utilisation de la science dans son art et la rationalisation des chantiers.
La science et les ponts
Si au XVIII e siècle on commence à avoir des connaissances en physique, elles ne sont que de peu d'utilité dans les réalisations pratiques où c'est la "tradition" qui prime car il y a un fossé entre le monde idéal des expériences et la réalité.Dans un domaine comme l'artillerie, la mécanique de Newton parait d'application immédiate mais celle-ci néglige la résistance de l'air et les canons ne sont pas rayés, donc imprécis. L'artilleur utilise des tables "pratiques" conçues deux siècles plus tôt par Niccolo Tartaglia.(1)
Dans la conception des navires la science est également impuissante malgré le début du développement de la mécanique des fluides par D'Alembert : leurs dimensions sont simplement commandées par le nombre et la grosseur des canons (2).
La géométrie se développe à partir de problèmes concrets comme la coupe des pierres ou à la résistance des voutes. La Hire (3) avait déterminé en 1695 la répartition du poids des voussoirs pour une voute demi-circulaire. En 1712, il part d’une constatation expérimentale: les voutes cèdent d'abord en un point situé à 45° de la verticale. Il considère cette partie supérieure comme un coin cherchant à écarter les pied-droits et il détermine ainsi en regardant les leviers leur dimensionnement.
Dans le domaine des ponts, le XVIII e siècle marque une évolution importante : plus de dos d’âne, voutes minces et piles étroites. Tout cela doit un peu aux mathématiques mais surtout à des expériences sur la résistance des matériaux et leur emploi. Perronet sera le principal artisan de cette évolution.
La coutume était de donner aux piles une largeur égale au 1/5 e de l'ouverture des arches. Perronet constate que l'épaisseur d'une pile serait, suivant la méthode de la Hire, énorme pour supporter la poussée et qu'elle ne doit donc pas être calculée comme un pied-droit mais simplement comme devant supporter le poids du pont, la limite étant la résistance à l'écrasement de la maçonnerie (que l'on sait calculer), la bonne pratique étant d'y ajouter une forte marge de sécurité (4).
Perronet adoptera pour le pont de la Concorde des piles divisées en 2 massifs carrés de 11 pieds ( 1 pied = 32,5 cm) avec des colonnes engagées de 9 pieds de diamètre à chaque extrémité pour une ouverture des cinq arches comprise entre 72 et 88 pieds, la largeur du pont étant de 36 pieds. Au dessus des demi colonnes des piles se trouve un entablement qui supporte le trottoir..
Les voutes traditionnelles sont des demi-arcs de cercle, ce qui augmente la hauteur du pont (5). A la Concorde (comme à Neuilly) les voutes sont "surbaissées" car décrites par des portions d'arcs de rayons compris entre 117 et 126 pieds. Leurs naissances est à 18 pieds au dessus des basses eaux et elles n'ont que 4 pieds d'épaisseur à leur clef.
Le pont est prévu parfaitement horizontal d'aspect extérieur, ainsi que le trottoir, mais la chaussée pavée aura une pente de part et d'autre de l'arche centrale pour l'écoulement des eaux de pluie.
A la fin de sa vie, en 1793, le citoyen Perronet écrira un mémoire sur la réalisation de ponts dont la portée serait de 200 à 500 pieds. Il s'agit seulement de la conception d'un pont en pierre, de l'amélioration des techniques existantes. Il ne prévoit pas la révolution que le fer va introduire dans le domaine des ponts alors que l'Iron Bridge était construit depuis 1779 et que le Jacob's Creek, le premier pont suspendu au monde, le sera en 1801..
L'organisation du chantier
Perronet est un grand concepteur de machines et il est tente de diminuer le prix des ouvrages par une bonne organisation du chantier.Pour construire un pont il faut d'abord battre des pieux dont la pointe a été durcie au feu ou "armée de fer" à l'aide d'une sonnette dont le mouton est levé par une vingtaine d'hommes. Il faut une centaine de pieux pour servir d'armature à un batardeau, une enceinte que l'on va vider d'eau pour construire la pile. On drague ensuite les vases à l'intérieur du batardeau pour obtenir un sol ferme. L'épuisement de l'eau à l'intérieur du batardeau peut se faire "à l'aide pompes à chapelet servies par une douzaine d'hommes relevés de deux heures en deux heures" mais Perronet préfère se servir du courant du fleuve: les pompes sont actionnées par une roue à aube.car il calcule que cela est plus économique car la machine épargne au total l'emploi "de cent quarante hommes par jours soit 240 livres"(6).
Il est ensuite nécessaire de battre de l'ordre de 500 pilotis de chêne pour fonder la pile (7). On élève ensuite les pierres maçonnées "à chaux et à sable" (8) sur les pieux. Il faut ensuite créer des cintres de bois qui vont supporter la maçonnerie des voûtes. On les élève un peu plus haut que nécessaire car l'on sait qu'ils vont se tasser sous le poids de la maçonnerie. Cette charpente a elle même besoin d'être soutenue lors de sa construction. Ceci peut être réalisé à l'aide d'un pont de service sur lequel elle reposerait provisoirement mais il est plus économique de la soutenir à l'aide de mats haubanés qui servent à la mise en place et au maintien des fermes. On procède ensuite à la maçonnerie des voûtes. jusqu'à l’établissement de la chaussée mais sans élever les parapets.
C'est alors la cérémonie du décintrement, un spectacle très prisé (Louis XV assista à celui du pont de Neuilly) ou on abat les cintres de bois à l'aide de cabestans, la manœuvre étant presque simultanée pour toutes les piles afin de rendre le spectacle plus impressionnant. On laisse se tasser les voûtes (c'est pour cela que l'on n'a pas fini le dessus du pont), on arase le pont et on construit les parapets et les trottoirs.
Perronet fait constamment des expériences sur son chantier. Par exemple il veut calculer ce que lui coûtera l'approvisionnement en matériaux. Il va d'abord essayer avec un camion de 7 pieds cube tiré par un cheval dans 7 conditions de pente et de distance, puis par deux camions tiré par un seul cheval, puis par trois camions de 21 pieds cubes... Il en déduit un coût standard dans chacune des configurations.
L'ingénieur en charge du chantier est Dumoustier, le chantier démarre en 1787 et achoppe immédiatement sur ce qu'en termes modernes on désigne par des "revendications salariales" qui seront partiellement satisfaites. le chantier emploiera plus de 1200 ouvriers et se poursuivra malgré les événements révolutionnaires
Le pont de la Concorde
Le premier projet date de 1725, il prendra corps lors de la construction de la place Louis XV, mais le pont sera construit de 1787 à 1791.Dans son premier projet, vers 1750, Perronet évalue le pont à 1 200 000 livres, il révise ensuite son chiffre à 2 millions et finalement le pont coûtera 3 millions mais il écrira "qu'un dépassement est inévitable dans ce genre de grands travaux" ( phrase qui sera beaucoup utilisée par d'autres par la suite).
La réalisation n'est pas exactement celle qu'avait prévue Perronet: les piles sont un peu plus fortes, les voûtes plus hautes d'un mètre à cause des différences de tassement, le pont n'est pas plat, on a supprimé pour des raisons d'économie les obélisques de bronze qui devaient couronner les piles... mais le pont Louis XVI (9) est une réussite.
Vers la fin du chantier le pont est renommé "pont de la révolution". En 1791, on utilisera des pierres de la Bastille.
Napoléon voudra y installer des statues de généraux, Louis XVIII y installera des statues des grands hommes, lesquelles seront exilés à Versailles en 1836.
On projettera aussi d'y établir un monument à Gambetta.
Le pont a été élargi dans les années 30 mais garde l'aspect que lui avait donné Perronet.
Le pont a été élargi dans les années 30 mais garde l'aspect que lui avait donné Perronet.
- L'époque est à la controverse entre les modernes (Gribeauval) qui préconisent des pièces légères et les tenants des canons massifs des guerre de siège ( Vallière).Il faudra attendre le guerres révolutionnaires pour voir la création de nouvelles armes sous la conduite d'un artilleur: Napoléon.
- D'Alembert écrit dans l'Encyclopédie des articles sur la mécanique des fluides mais déclare que les travaux de Newton, de Bouguer et de Bernouilli "peuvent être utiles jusqu'à un certain point dans la construction des vaisseaux"
- Philippe de La Hire est un touche-à-tout mais son œuvre principale concerne la géométrie. Son premier mémoire concerne la coupe des pierres d'un arc rampant pour lequel il va utiliser les propriétés des coniques
- Des piles larges et des arches étroites présentent de toute manière un barrage à l'eau qui provoque un affouillement des piles et tend à leur renversement. On ne doit pas non plus augmenter artificiellement la largeur de la rivière au droit du pont pour y palier car cela entraine à terme un dépôt de sédiments. Des piles étroites et "profilées" présentent moins de résistance à l'écoulement Perronet avait déjà construit le pont de Neuilly ou il avait adopté des piles de 13 pieds (en notant que 10 pieds suffirait) pour des arches de 120 pieds.
- Pour baisser le pont on peut établir la naissance des voutes à la hauteur des basses eaux mais cela réduit le passage de l'eau en cas de crue.
- Le chiffre est celui du pont de Neuilly
- On doit prendre soin que les têtes des pilotis soient à un niveau très inférieur à celui des basses eaux. Un pieu se conserve presque indéfiniment dans l'eau mais pourri dès qu'il est exposé à l'air. Par exemple le vieux pont de Tours à vu ses pieux menacés lors d'une sécheresse exceptionnelle voila une dizaine d'années.
- Le travail s'interrompt l'hiver, on protège la maçonnerie du gel et des pluies avec de la paille. Les hivers sont plus rudes qu'aujourd'hui, le pire étant le "grand hiver" en 1709 sous le règne de Louis XIV.
- Il se nommera successivement Louis XVI, pont de la Révolution, puis pont de la Concorde en 1800 et à nouveau pont Louis XVI de 1820 à 1848.
- Sur l'édition Pellet
Sites et références
- Pont de la Concoide Wikipedia
- Révolutionnaire pont de la Concorde . d'un pont à l'autre
- Mémoire sur la réduction des piles et la courbure. Perronet
- Description des projets et de la construction des ponts... Perronet. Sur erara.
- Construire des ponts au XVIIIe siècle. ENPC ( fac-similé de l'ouvrage de Perronet)
- Mémoire sur la recherche des moyens que l'on pourrait employer pour construire de grandes arches de pierre. Perronet 1793
- Article "épingle" de l'Encyclopédie
- Article "voute" de l'Encyclopédie
- Sur la construction des voutes dans les édifices. La Hire 1712
- Art de l'épinglier, par M. de Réaumur, avec des additions de M. Duhamel Du Monceau, et des remarques extraites des Mémoires de M. Perronet,
- Paris des utopies. Yvan Christ