Le logement social à Paris et à Londres


L' histoire comparée de Paris et de Londres est proposée dans deux articles, l'un couvrant la période jusqu'à  la fin du XIX ème siècle et le second s'intéressant à la période contemporaine.
Les deux "mégalopoles" ont une histoire très différente qui conduit au début du XXème  siècle Paris à un hyper centre bâti en hauteur entouré d'une banlieue anarchique alors que Londres s'étend sur une large surface desservie par de bons transports ferroviaires.  
Au cours du XXéme siècle la situation des deux villes vont curieusement se rapprocher au travers du problème de "l'habitat social".

Paris 

cité Jeanne d'Arc 1939
Expulsion de l’îlot insalubre de la cité Jeanne d'Arc
La première cité jardin: La ruche à St Denis
Les immeubles sur les "fortifs" bâtis par la première société d'économie mixte: l'IPC  ( qui deviendra la SAGI)
Les cités dortoirs de banlieue sont conçues suivant les principes de la charte d'Athènes:  des immeubles hauts, standardisés, non alignés sur la rue au milieu de "jardins"
Les immeubles deviennent rapidement de plus en plus grands, de plus en plus hauts. Ici la barre Balzac de la cité des 4000 détruite en 2010.
Financement du logement social  en IDF d'après la DRIHL
A coté des prêts de la CDC , une multiplicité de sources.
Il est illusoire de vouloir construire dans Paris intra-muros, Il faudrait plutôt développer "harmonieusement" la banlieue ce qu'interdit la multiplicité des pouvoirs et des acteurs.
Construire  "durable" coûte de plus en plus cher .
L'isolation d'un appartement existant coûte entre 20 et 40 000 €.  Pour l'instant le logement social a moins de peine à financer la rénovation que les propriétaires privés mais de tels coûts ne sont pas soutenables à grande échelle.
Napoléon III s'inspire d'abord de ce qu'il a vu à Londres lors de son exil  vers 1840. Ses expériences seront décevantes. Elles nous laisseront tout de même la cité Napoléon de la rue Rochechouart  et la tentative de coopérative ouvrière de la rue Dausmesnil.
  La 3 éme république est libérale, il n'est pas question qu'une ville intervienne directement dans la construction de logements. Seules   les sociétés philanthropiques ou des patrons avisés construirons  des logements ouvriers ( à la toute fin du siècle et à  l'imitation de l'Angleterre ) . On peut par exemple citer  les immeubles de la fondation des frères Rotschild rue de Belleville ou  la cité ouvrière  de Noisiel bâtie par Emile Meunier.
Dans Paris  les ouvriers se logent dans les vieilles maisons du centre ou dans celles, hâtivement et mal  construites, de l'Est parisien. Les hôtels meublés et  les  "garnis" pullulent et l'action municipale est à peu près nulle.
La loi Siegfried, en 1899, permet la constitution de sociètés d'HBM empruntant à taux réduit auprès des organismes publics, elle sera suivie par une multiplicité de lois.(1)
La cité jardin de "la Ruche" à St Denis est  la première réalisation d'HBM  en France  par la société des habitations économiques de St Denis . Les sociétés d'HBM et d'HLM se développent rapidement. Comme exemple à Paris citons la cité des amiraux pour son architecture remarquable due à Henri Sauvage .
Le partenariat public-privé est rendu possible par le décret loi Poincaré en 1926. C'est alors que fut créé l'ICP ( Immobilière de constructions de Paris), première société d'économie mixte qui construit, sur les terrains des fortifications mis gracieusement à sa disposition par la ville,  des "habitations à bon marché  améliorées" et des "logements à loyer moyen" ( avec une concession de 50 ans qui sera renouvelée en 77, l'ICP devenant la SAGI)
La loi Loucheur en 1928 établit pour la première fois un programme de construction massif: de 260 000 logements.
En banlieue apparaissent les  premières constructions "rationnelles" comme la cité de la Muette à Drancy et ses tours de 14 étages.

La mixité sociale durera plus longtemps à Paris intra-muros qu'à Londres du fait de l’exiguïté du territoire et de  l'activité industrielle (mécanique, automobile) qui se maintiendra  jusqu'aux années 60 (2).   Les villes de banlieue se sont développées chacune avec un type de bâti presque homogène et évidemment un type de population lui correspondant: usines et petits immeubles = ouvriers, pavillons modestes= employés, villas cossues="bourgeois"  ,...
Paris s'entourera  d'une "ceinture rouge" avec une banlieue riche à l'Ouest.

Dans les années 50 et 60 on se préoccupe d'éliminer les quartiers insalubres parisiens ( l'idée datait d'avant guerre)  et  surtout de construire des cités modernes, comme Sarcelles  ou les 4000 , en banlieue vers lesquelles beaucoup de travailleurs déménagent.  L'absence de moyen de transport collectif efficace  créera des "cités dortoirs" isolées.

Dans Paris a loi de 48 a maintenu artificiellement des prix bas de location de logements sans confort ( et a entraîné la dégradation du bâti ancien), le rattrapage des prix n'en a été que plus brutal  à partir des années 70 poussant à nouveau les  plus pauvres et même les classes moyennes vers une banlieue mal desservie.

A la fin du XXéme siècle les "grands ensembles" sont unanimement rejetés et  l'habitat social se tourne pour la banlieue vers des réalisations pavillonnaires ou des bâtiments bas  et on entreprend  la démolition/rénovation d'immeubles qui ont pourtant moins de 50 ans d'existence.

Aujourd'hui la municipalité parisienne s'obstine à vouloir construire sur un territoire saturé alors qu'il faut penser au moins à l'échelle de l'ancien département de la Seine.  Au Nord et au Nord Est Est  ( Aubervilliers ) la densité est faible et les friches industrielles nombreuses. C'est là que Paris pourrait se développer comme l'exemple en a été donné par Rahouzec, maire de St Denis, et instigateur du projet  de la communauté d'agglomération de la  plaine st Denis  (250 000 habitants)

Le logement social n'est pas directement géré par les nombreux acteurs ayant compétence sur un même territoire (municipalités,  intercommunalités, département, région) mais par des OPH ( rapprochement depuis 2007 des anciennes OPHLM et OPAC)  ayant statut d'EPIC ( établissement public à caractère industriel et commercial) , par des SEM (sociétés d'économie mixtes), des ESH ( entreprise sociale pour l'habitat, de statut privé, généralement issus des collecteurs du 1%) ou des sociétés privées .
La construction de logements sociaux est financé par des prêts  de la CDC  ou de l'action logement (1%)(PLAI,PLU,PLS). Suivant le type de prêt le plafond de ressource des locataires est différent. Comme ces plafonds sont relativement élevés, la ville de Paris écrit dans sa brochure "Se loger à Paris" que 70% des parisiens pourraient prétendre à un logement social !

Paris intra muros compte 18% de logements sociaux , soit 230 000 logements avec plus de 135 000 demandes en attente et un peu plus de 10 000 attributions par an; les principaux acteurs  sont l' OPH Paris Habitat ( Ex OPAC), la SEM RIVP, l'ESH Immobilière 3F et un bailleur privé la SAGI ( anciennement de statut SEM jusqu'en 2006 ou la ville a préféré monter au capital de RIVP  et vendre sa participation dans la SAGI) ( on a en outre SEMAEST, SIEMP, Elogie (ex SGIM+SEMIDEP), l'habitat social français, la Sablière,...). Une ville comme Ivry compte 38% de logements sociaux mais Neuilly n'en compte que 3%.
La loi SRU impose aux communes un minimum de 20% de logements sociaux.

La demande logement social est spécifique à chaque commune de l'agglomération. Par exemple à Paris les demandes peuvent émaner de la mairie, de la préfecture ou du 1% logement, cela pour une quarantaine de bailleurs sociaux. Un rapport de 2012  note " les conditions archaïques ( du service du logement) au regard du nombre de dossiers à traiter" et que les procédures de sélection confinent " au tirage au sort".
Il parait évident que le système est tellement complexe et les acteurs tellement nombreux qu'il ne peut fonctionner convenablement. En outre la gestion du logement social est complètement déconnectée de la réalité. Par exemple en 2006 la Ville de Paris veut réorganiser ses participations. Une des opérations est la dissolution de la SEMIDEP ( SEM avec l'ancien département de la Seine) pour transférer ses actifs à la SGIM ( autre SEM de la ville de Paris). Pour 2 Millions d' euros (prix de la cession des parts de la ville dans la SEMIDEP à la SMIG )  la ville transfère d'une société à une autre -d'actionnariat différent-  2800 logements parisiens.

Le logement social peut se permettre des opérations inconcevables pour une copropriété. Par exemple les  Orgues de Flandres , ensemble construit en 1975 dans le 19 éme par 3F, ont été rénovés en 2010 pour un coût de 40 000 € par appartement (ce coût n'incluant même pas l'isolation thermique des façades).
Dans certains cas on  a vendu des HLM à leurs occupants, les copropriétés ainsi constituées,  confrontées à la réalité des coûts, sont incapables d'assurer l'entretien des immeubles.

(1) lois de 1906-1908 autorisant les communes et les départements à soutenir les HBM (prêts, souscription d'actions, terrrains). 1912 les communes et les départements peuvent créer des établissement publics: les OPHBM.
(2) et aussi à cause du blocage des loyers décidé en mars 1918 qui va avoir aussi pour conséquence la dégradation des immeubles existants et  l’arrêt de la construction d'immeubles locatifs. La loi de 48  va améliorer un peu la situation tout en créant des distorsions considérables dans le montant des loyers.

Londres 

Old Nichol (Arnold Circus). Un slum de Londres ou sera construit les premiers council flats en 1891  
Fisherton Street. Type de "maison des héros" ( homes fit for heroes), habitat social construit après la guerre de 14.
Heygate Estate , l'équivalent Londonien des 4000 de la Courneuve et également en cours de démolition , réhabilitation. 
Londres est la capitale la plus chère du monde mais curieusement 80% des bangladeshi et 60% des noirs résident dans l'Inner London. Londres est la ville la plus cosmopolite au monde.
Il n'y a pas de "banlieusard" au sens Parisien à Londres ou il y a plutôt  des "faubourgs" desservis dès le XIX ème siècle par des transports en commun ferroviaires.
La ville fut longtemps une juxtaposition de quartiers socialement homogènes: les pauvres à l'Est, les riches à l'Ouest. Le passage d'un quartier à un autre se faisait brutalement: il suffisait de passer une rue pour se retrouver dans un univers différent.

Le XIX ème siècle est évidemment aussi libéral en Angleterre qu'en France mais les institutions sont très différentes. En France la puissance publique n'agit jamais directement et ce sont des sociétés privées qui obtiennent des "concessions", il n'est pas question qu'une municipalité se préoccupe directement du logement. En outre la loi Le Chapelier de 1791 a proscrit tout syndicat et aucune forme de partenariat public privé ne peut se développer.
En Angleterre les associations philanthropique se préoccupent très tôt du logement et dès 1851 les conseils de paroisse et les conseils de municipalité ont le droit de construire des logements ouvriers  en vertu du Labouring class  Dwelling Bill. Une commission d’enquête ( Royal commission )  conduit ensuite à la rédaction du Housing of the  working class act  de 1885 qui autorise les municipalités à fermer les logements insalubres et à construire des logements financés par des taxes locales et des prêts du trésor. Ce seront les council houses.
En 1880 il existe en outre  à Londres 4 grandes sociétés philanthropiques ( building societies) construisant   des "maisons casernes" dans le centre et des "maisons avec jardin" en périphérie  ( dont Shaftesbury Park en 1874 fut le prototype )

Londres connaîtra ensuite deux grandes vagues de construction de logements sociaux: le premier après la guerre de 14 ( "les maisons des héros"), le second après les destructions du blitz  durant la seconde guerre mondiale.

A Londres les HLM sont donc les "council houses" et elles pèsent lourdement sur le budget de la ville. Depuis 1979 les conservateurs ont  institué un droit à l'achat (right to buy). Le terme 'council' est de plus en plus péjoratif  et les logements  sont  de plus en plus habités  uniquement par ceux qui relèvent de la "social security" . Les autorités locales  ont depuis 1998 le droit d'intervenir directement en cas de comportements antisocial en particulier quand un gang utilise un immeuble. comme une " crack house".
Le schéma directeur de Londres voudrait que 50% des nouveaux bâtiments soient des logements sociaux ( dont 40% "intermédiaires"). Chaque nouveau programme de plus de 10 logements doit comporter une part de logements sociaux  fixée au niveau de chaque district ou payer une taxe assez lourde.  La municipalité tend a se désengager du logement social au profit des "housing associations", organismes non lucratifs de droits privé,  qui se financent pour moitié par une subvention de l'état et pour l'autre  par des crédits bancaires. Une originalité est le "shared ownership" ou l'occupant acquiert seulement une partie du logement  et verse un loyer à "l'housing association" qui possède le reste.
Le logement social représente probablement 30% du parc Londonien.
Au contraire de Paris chaque demande de logement est notée sur un certain nombre de critères et elles sont classées informatiquement..

Conclusion

Il serait bien difficile de conclure. Il est évident que les dispositifs de soutien au logement social sont à revoir autant à Paris qu'à Londres. A Paris il y  des dysfonctionnements évidents dus à la multiplicité des acteurs et à la complexité du système. Une réforme des communautés territoriales, une claire délimitation des compétences et une gestion tenant compte de la réalité des coûts  - et non du prestige des élus - est un préalable nécessaire  A Londres il semble surtout qu'il manque une volonté  et une hésitation entre l'aide à la personne ou l'existence d'un secteur social du logement ( la première attitude étant traditionnellement celle de la droite et la seconde celle de la gauche dans tous les pays).
J'aimerais tout de même faire  remarquer  que l'obligation Londonienne de prévoir des logements sociaux au niveau de chaque nouveau programme est infiniment plus simple que le dispositif  français de la loi SRU  dont l'obligation est au niveau de la commune. Il y a concrètement obligation de mixité sociale à la charge du promoteur qui doit payer s'il ne la respecte pas alors qu'en France c'est le contribuable - qui n'y peut rien-  qui va payer si sa commune ne respecte pas le quota.

Références