La Samaritaine de luxe et le musée Cognacq-Jay

Après le succès de la Samaritaine du Pont Neuf, Ernest Cognacq et sa femme voulurent construire, près de l'Opéra,  un magasin destiné à une clientèle plus aisée. Ce fut la Samaritaine de luxe   au 25-29 bd des Capucines qui comportait un salon de thé, un restaurant et ... un musée.
La Samaritaine de luxe aujourd'hui devenue Hôtel 5 étoiles
Les bâtiments de Frantz Jourdain sont restés appréciés même quand la mode devient l'art déco: "si francs de conception si nets" (l'Architecte, 1925)  .mais on en "simplifia" la décoration. La Samaritaine de luxe y perdit ses marquises.
le plan montre l'enchevêtrement entre escalier et ascenseur 
Vers 1925 on construit l'immeuble du musée au 25 Bd des Capucines.
3 ans plus tard on détruira et on reconstruira l'immeuble du 29 (au premier plan, celui qui porte l'enseigne Samaritaine)
Publicité en 1934
Notez qu'il est précisé que le magasin possède un restaurant de haute tenue  et ... un musée 

Marquise de l'immeuble Rivoli par Frantz Jourdain.
(Voir l'article sur les bâtiments de la Samaritaine du Pont neuf)
Dans l'Esprit nouveau, revue fondée par Le Corbusier, on ne pardonne pas à l'architecte ses "bâtiments enguirlandés de fatras" mais on reconnait qu'ils contiennent "les éléments les plus hardis de l'art moderne" (n°19 1923)

C'est un peu avant la guerre que la construction d'un nouveau bâtiment au 27 bd des capucines fut décidé. C'est Frantz Jourdain, l'architecte habituel des Cognacq-Jay qui réalisera un bâtiment art nouveau dont la façade, l'escalier et l'ascenseur sont aujourd'hui classés. Le magasin ouvrira en pleine guerre, en 1917.

L'intérieur était décoré de lambris en marqueterie, d'une fontaine en mosaïque et de vitraux. Un "plancher mobile" permettait d'accéder aux étages.

Le magasin s'étendra  ensuite du 25 au 29 bd des Capucines et aux 18-24 rue Daunou  suivant la méthode habituelle des Cognacq: on achète des immeubles, dans un premier temps on les adapte aux besoins du commerce, puis on les détruit pour reconstruire. 

L'immeuble métallique Art Nouveau de Jourdain fut flanqué de deux bâtiments identiques tendance Art Déco à parements de pierre de taille. Celui  du 25 fut terminé en 1928 et celui du 29 en 1930. Les 3 étages supérieurs du 25 abritait un musée dédié au XVIII e siècle dont le couple Cognacq étaient amoureux.   

Dans les années 60 l'établissement périclitera . On installa un cinéma  de 7 salles, UGC Opéra, au 29, ouvert en 1975 il  fermera en 85.

La Samaritaine de luxe ferme en 1985, les immeubles furent vendus, le musée déménagea dans l'hôtel Donon. La BNP y installa ses bureaux en 1986. Ils furent chassés à leur tour en 2019 et en aout 2021 l'hôtel Kimpton St Honoré (groupe Intercontinental) ouvrait ses portes après rénovation. L'hôtel, conçu par Charles Zana, comporte 149 chambres.  

Illuminations de Noël vers 1920.
Les immeubles du 25 et 29 Bd des Capucines ne sont pas encore reconstruits.
Vue vertigineuse de l'escalier 
Toujours l'escalier et les rayons
L'escalier vu du RdCL'escalier, vue actuelle, les "transparences" ont disparues

Le musée Cognacq-Jay

L'exposition de la collection en 1927 dans le magasin de la Samaritaine de luxe.
On reconnait "le petit garçon au gilet rouge" de Greuze et "la leçon de musique" de Boucher
Vue d'un salon du musée
L'entrée particulière du musée.
En 1985 les immeubles furent vendus y compris la partie  musée qui appartenait à la Ville de Paris.

Le musée Congnacq Jay occupait les 3 étages supérieurs de l' immeuble du 25 Bd des capucines et avait son entrée particulière.

Il était consacré au XVIII e siècle, on peut admirer aujourd'hui sa collection dans le Marais , à l'hôtel Donon.

Avant les Cognacq, Chauchard, le fondateur des magasins du Louvre, fut un grand collectionneur à la fin du XIXe siècle. De gout peu sur, aimant les "grands machins" , il fut moqué par ses contemporains. Comme Chauchard le couple Cognacq  est parti de rien et n'a pas "d'éducation artistique" mais ils sont plus discrets et ont un gout réel pour le XVIIIe siècle.

Cognacq et sa femme collectionnent principalement les objets du XVIIIe siècle ou des tableaux représentant des scènes de ce siècle. Tout d'abord ils souhaitent léguer leur collection au Petit Palais, puis il décide de créer leur propre musée. Dans un premier temps ils  font 3 expositions successives dans le magasin de 1925 à 1927 , puis en 1927 ils achètent des boiseries pour servir de cadre à leur musée. Cognacq meurt en 1928 , il lègue sa collection à la ville de Paris et c'est Edouard Jonas qui finira l'installation du musée. Il sera  inauguré en 1929.

Le musée ne présente  pas l'intégralité de la collection Cognacq. Si le couple est sans enfants, ils ont un neveu, Gabriel Cognacq, qui prendra leur succession. Gabriel  reçoit en héritage le partie "moderne" de la collection (Corot, Degas, Carpeaux,..) mais aussi des Fragonard ("la jeune fille lisant" ,"la jeune fille aux petits chiens"). La collection de Gabriel sera dispersée en 1952 et se trouve aujourd'hui pour l'essentiel aux Etats Unis. La ville refusa aussi 450 objets d'art chinois et japonais.

L'idée générale du musée est de reconstituer des intérieurs du XVIII e siècle. Il y a donc des meubles, des bustes, mais aussi des porcelaines, des boites, des tabatières, des carnets de bal,..  Le troisième étage est réservé à la galerie de peinture.

On est accueilli par les bustes de Ernest Cognacq et Louise Jay qui précèdent 3 salons garnis de boiseries anciennes . On y voit du mobilier, des sculptures et des porcelaines.

Au deuxième étage 3 pièces contiennent des meubles Louis XVI dont un grand lit et des œuvres de la fin du XVIII e

Le troisième étage est réservé aux dessins, pastels et tableaux. Un premier petit salon est réservé aux dessins de Watteau et de Fragonard. La grande galerie contient "des pastels de La Tour, la présidente Rieux, deux superbes Perronneau, des Hubert Robert, le Retour de chasse (de Diane) de Boucher, des Vigier-Lebrun, un curieux Rembrandt de jeunesse, un festin de Tiepolo qui est une féérie, des portraits de Gainsborough, et de Lawrence " et au milieu de la galerie des vitrines contiennent des miniatures, des émaux anglais, des étuis, des montres,...

Parmi les conservateurs notons le passage de Heron de Villefosse, conservateur du petit Palais avant guerre, mais suspect de collaboration et relégué à Cognacq-Jay.

Ernest Cognacq (1839-1928).
Parti de rien, il ouvrit en 1870 un modeste magasin de la Samaritaine.
Il épouse Louise Jay en 1875. La réussite du couple fut fulgurante, Ils étaient tous deux des bourreaux de travail, avec la devise "per laborem", exigeants, mais  patrons sociaux .
En 1914 la Samaritaine devient une société en commandite par actions. La moitié du capital est cédé aux salariés alors que l'autre moitié appartient à la "Fondation Cognacq" qui gère les œuvres sociales.
Le couple Cognacq règne sur un empire de 10 000 employés dont les salaires sont les meilleurs de la profession, le repas de midi gratuit (et obligatoire) et auxquels on octroit 6 à10 jours de vacances. La discipline dans le magasin est cependant très stricte: « Défense de s'asseoir. Défense de Parler. Pas de strapontin pour les femmes enceintes. Pour les femmes : robe noire, souliers noirs, bas fournis par la Direction, pas de cheveux coupés. Pour les hommes veston noir, pantalon à rayure, chaussettes et souliers noirs, cols durs. La lecture d'un journal comme L'Œuvre est mal considérée»
Marie-Louise Jay (1838-1925)
Première vendeuse d'un magasin de lingerie, elle apporte à son mari un capital de 25 000 F qui leur permettra de développer la Samaritaine.
Le couple est sans enfants, c'est probablement pour cette raison que l'enfance est une de leurs principales préoccupations: il  donne des allocations à ses employés en fonction du nombre d'enfants et créer le prix Cognacq-Jay destiné à récompenser des familles nombreuses méritantes.
Les œuvres sociales de la fondation Cognacq comprennent: une maternité, une maison de retraite, un "pouponnat" , un orphelinat pour cinquante enfants, une maison de repos et de cure en montagne , deux ensembles immobiliers  pour familles nombreuses, des  colonies de vacances....  
Outre le musée Cognacq-Jay, Ernest créra un musée et Louise un jardin botanique dans leurs villes natales respectives. 
L'amitié de Louise et de Jonas, antiquaire et principal acheteur d'œuvres d'art des Cognacq, fera jaser. Si on surnommait Ernest "le père laborem", les mauvaises langues appelaient Louise "Jay-en-Josas"


Premier salon du 1er étage.
Boiseries du château d'Eu, dessus de porte de l'atelier de Boucher, "jeune homme" par Fragonard
Premier salon du 1er étage 

Grand salon du 1er étage

Grand salon du 1er étage. 
Boiseries Louis XV, table de citronnier Louis XV, tableaux de Fragonard et Greuze
Grand salon du 2e étage

Grand salon du 2e étage.
Grand lit à baldaquin Louis XVI et coiffeuse de  Guillaume Kemp

Grand salon du 2e étage 
La présentation a été modifiée en 1934.
Salon du milieu 2e étage
Boiseries Louis XVI crème à filets rouges, bureau de dame Louis XV
Il y avait "le vieux chêne" de Ruysdaël, le festin de Cléopatre de Tiepolo, le portrait de Gevarius par Rubens, l'ânesse de Balaam de Rembrandt.
Petit salon du 2e étage.
Dessus de porte de l'atelier de Boucher, œuvres de la fin du XVIII e siècle
Statue de bacchante de Foucou

Petit salon du 2e étage 




Inauguration par Gaston Doumergue du musée le 4 juin 1929.

Cambriolage en 1937 dont on accusera Serge de Lenz, "le cambrioleur mondain".
En 1938 on dérobera "l'enfant pleureur" de Pigalle.

Le catafalque  de Victor Hugo à l'exposition "petits soldats, grandes victoires".
Exposition de circonstance en décembre 44, les scènes représentées sont celles des campagnes de  Napoléon ou des épisodes de la guerre de 14-18 (France, 22/12/44). Le musée ne rouvrira ses portes qu'en décembre 1945.
Le musée présentait régulièrement des expositions, les précédentes  étaient d'abord une exposition de poupées visitée par la Maréchale Pétain avec Gabriel Cognacq et le conservateur M Bouchez  début 1942 puis "l'exposition des crinolines" avec M Terrier pour conservateur
Gabriel Cognacq prit la direction du magasin  au décès d'Ernest (il ne possédait cependant pas le magasin, propriété des employés et de la fondation Cognacq). La direction effective du magasin incomba à Georges Renand 
Tous deux étaient collectionneurs, Gabriel avait hérité d'une partie de la collection Cognacq et possédait six Boucher des Fragonard, des Lancret, 4000 gravures de Daumier... Renand , lui, s'intéressait à la peinture moderne. Tous deux étaient au conseil des musées nationaux. La collection de Gabriel fut dispersée le 14 mai 1952 et partit pour l'essentiel aux Etats Unis.

Sites et références