La maison de Beaumarchais près de la Bastille

Beaumarchais aimait la liberté ... et le luxe. Il fit construire en 1788 une somptueuse maison qui n'eut qu'une brève existence, car elle fut détruite en 1818 pour le percement du canal St Martin. Elle  fait partie de ces hôtels  de la fin du règne de Louis XVI, époque où on cherche des formes nouvelles, où on aime le rond, l'ovale et l'imitation de l'antique. Il n'en reste presque plus d'exemples aujourd'hui. La Révolution, que Beaumarchais avait appelé de ses vœux, amena une période  où le luxe de son hôtel était  faute impardonnable.

Vue "idéalisée" de la maison de Beaumarchais alors que la Bastille existe encore.
Le jardin est en vérité très étroit
Lemoine, l'architecte, avait établi un devis de 300 000 F , il fallut 1 663 000 F.
Pont Japonais dans le jardin.
Au fond l'entrée souterraine dans laquelle on accusera Beaumarchais d'avoir caché des armes 
Au fond à droite on devine le pavillon Voltaire, cabinet de travail de Beaumarchais
Sur le plan Jaillot, un peu avant la révolution,  on peut voir la Bastille, la porte St Antoine (démolie en 1778 dont les bas reliefs seront utilisés par Beaumarchais pour décorer sa maison) et le bastion qui sera démoli et vendu par la ville à Beaumarchais. Le bâtiment "commercial" en dessous du bastion sera intégré à l'hôtel. 
Sur le plan Lemaire de 1808, La Bastille et la porte St Antoine ont disparu. La maison de Beaumarchais et son jardin très allongé est construite. Elle sera démolie en 1818 pour permettre le creusement du canal St Martin
Coupe de la maison 
On voit la superposition: salon d'apparat, salle à manger (et son escalier), cuisine
Le salon et la salle à manger communiquent directement avec le jardin, l'un par le toit de la galerie prolongé par les grandes corbeilles-, l'autre par la cour ou se dresse la statue du gladiateur venue de l'hôtel Soubise 
A gauche les boutiques avec logement en entresol et au dessus sept appartements de location  sur deux étages (dont les décors n'étaient peut-être pas aussi somptueux).
Façade sur cour.
La cour circulaire est entourée d'une galerie soutenue par 20 colonnes doriques.
Notez que le fronton cache les combles "ordinaires" de la maison de location.
Le salon de Beaumarchais éclairé par une unique baie et un lanterneau.
Un double escalier circulaire permet d'accéder à la salle à manger située en dessous.
Les 8 panneaux d'Hubert Robert sont aujourd'hui au Petit Palais et à l'Hôtel de Ville
Belanger proposa à Beaumarchais un monument à Voltaire en forme de globe pour son jardin. L'idée sera retenue..; pour la girouette

Entrée souterraine du jardin avec les bas reliefs et les statues provenant de la porte St Antoine et la devise: "ce petit jardin fut planté l'an 1 de la liberté"
A gauche le pavillon Voltaire surmonté d'un globe terrestre girouette.
Le pavillon Voltaire subsistera tant bien que mal après la démolition de la maison jusque vers 1840
Emplacement Bd Beaumarchais
Plus classique et rare survivant, l hôtel Montholon élevé en 1778 par Soufflot "le romain" se propose d'isoler du Bd Poissonnière  par une terrasse surélevée 
L'impressionnant portique sur la rue de Provence de l'hôtel Thellusson par Ledoux 
Le bureau de Beaumarchais est aujourd'hui à Waddesdon Manor, il fut acheté par Ferdinand de Rothschild
En 2022, des héritiers de Beaumarchais mettaient en vente à Drouot des fauteuils de Jacob provenant de sa maison. Ils furent préemptés par le musée Carnavalet.
Ecrivain, aventurier, spéculateur parfois hasardeux, libertin, chicaneur, fondateur d'une compagnie chargée de vendre des armes aux Américains, Beaumarchais  fut surtout l’auteur du Mariage de Figaro et du Barbier de Séville, ouvrages critiques  de la société dans laquelle il vivait. Anticonformiste, premier défenseur des droits d’auteurs et défenseur de la liberté, cela ne l'empêchait pas d'aimer le luxe. Il achète en 1787 un terrain d'environ 35m x 240 m mis en vente par la ville suite à la démolition d'un bastion de l'enceinte près de la Bastille (de l'actuel boulevard Beaumarchais au boulevard Richard Lenoir) , L'architecte  Lemoine construit l'hôtel en 1788 en y intégrant un immeuble de boutiques et d'appartements en location sur la place (Beaumarchais avait un fort sens pratique). Extérieurement l'hôtel se présentait comme une grande maison bourgeoise avec un jardin clos de hauts murs, on ne comprenait ses qualités et son luxe qu'en entrant dans la cour. Il est inauguré au printemps 89 par le duc d'Orléans, Beaumarchais emménage en 1791 et en est chassé en 1792 (1), il revient  en 1797 et y meurt  en 1799. Il est enterré dans le jardin. L'hôtel est racheté pour construire le canal St Martin et est démoli en 1818. Le pavillon Voltaire, cabinet de travail de Beaumarchais, subsiste jusque vers 1840. le Bd St Antoine sera renommé Bd Beaumarchais en 1831.
  1. Beaumarchais est l'objet d'accusations multiples, en particulier Laurent  Lecointre (un député habitué de la délation) l'accuse de détournement et d'escroquerie dans l'affaire compliquée des "fusils de Hollande".  Les scellés sont apposées sur sa maison le 28 novembre 92 et sont levées le 14 février 1793. Beaumarchais écrira "compte rendu sur les 9 mois les plus pénibles de ma vie". Beaumarchais ne sera lavé de tout soupçon qu'en mai 1793 et envoyé en mission secrète à l'étranger pour récupérer les fusils. Il échouera et sera inscrit sur la liste des émigrés.
Nous allons suivre, en la commentant, la description de Guillaume Legrand de 1806.
" Cet édifice est situé à l'extrémité du boulevard Saint- Antoine et de la rue Amelot, sur un terrain qui appartenait originairement à la Ville. Caron de Beaumarchais l'acquit pour y faire construire un hôtel. M. Lemoine, architecte, en fournit les dessins et en dirigea l'exécution. Son emplacement total forme un parallélogramme qui peut être considéré comme divisé en trois parties principales : l'hôtel proprement dit, au milieu, le jardin à gauche ; à droite, la maison en location. 
La maison de location, comprenant des commerces et des appartements, existait avant la construction de l'hôtel et y a été intégrée.
  L'hôtel occupe toute l'épaisseur entre le boulevard et la rue Amelot, sur lesquels il a deux faces, de 22r et 26 toises environ : deux entrées opposées conduisent à une tour circulaire placée au centre des bâtiments, qui sont élevés de deux étages au-dessus du rez-de-chaussée.
On cherche à l'époque de nouvelles formes architecturales, au lieu d'adopter la modèle classique "entre cour et jardin", l'hôtel est bâti autour d'une cour circulaire  avec un bâtiment commercial sur la place. L'architecte Lemoine "le romain"  a été l'élève de de Wailly et il s'est probablement inspiré du château de Montmusard que ce dernier avait construit.
Au milieu de la cour, est une copie en plomb du Gladiateur antique : cette statue était précédemment à l'hôtel de Soubise. L'entrée principale est sur le boulevard ; elle offre un vestibule terminé de chaque côté par une partie circulaire; à droite est le grand escalier. Les pièces les plus remarquables sont la salle à manger au rez-de-chaussée, et le salon au premier étage. Ces deux pièces, de même grandeur et de forme circulaire, se correspondent, et sont éclairées l'une et l'autre sur la cour par une grande croisée qui fait face au jardin. La salle à manger est décorée d'une frise ornée de griffons, modelée sur celle du temple antique d'Antonin et Faustine, à Rome. Au devant de la croisée s'élève une grande coupe de forme étrusque, d'où sort un jet d'eau. Des deux côtés sont deux rampes d'escalier qui suivent circulairement le mur, se soutiennent par leur coupe sans autre point d'appui, et se réunissent à un balcon. Indépendamment de la grande croisée, une lanterne, pratiquée au plafond du salon, éclaire cette pièce, dont la cheminée, faisant face à la croisée, répète la vue du jardin, du boulevard et de la côte de Ménilmontant. Le salon est décoré de six portes en glaces, ornées de frises en camaïeux, et dans l'intervalle desquelles sont huit tableaux de sites champêtres et de ruines, peints par Robert. L'antichambre qui précède le salon est ornée de la statue de Voltaire, par Houdon; la figure est assise.
Il y a en vérité 3 appartements de maître. Un appartement d'apparat  constitué d'une antichambre, du salon, de la salle à manger et d'une chambre   et deux appartements privés , l'un sur le boulevard, l'autre sur la rue Amelot avec un accès par celle-ci.  Dans le cabinet de la rue Amelot devait se  trouver  le "bureau cylindrique monumental, daté 1779, il aurait été offert à Beaumarchais par ses amis. La marqueterie, très riche, représente des feuillages, des ruines, et, sur l'écritoire, des documents en trompe-l'œil et des inscriptions. Ce bureau aurait été fait par Riesener pour 85 000 livres" .
Plan du 1er étage.
En jaune l'appartement d'apparat, en orange les deux appartements privés, en vert les circulations, en rouge la seconde antichambre commune, en bleu l'office, en rose les 3 appartements en location.
Le jardin , planté à la manière anglaise , est composé avec beaucoup de goût : on y a ménagé des inégalités de terrain, des sentiers sinueux et couverts, des escaliers rustiques, et des masses de rochers et de verdure dont l'effet est très pittoresque. A l'extrémité, vers la rue Amelot, s'élève un pavillon dédié à Voltaire : il est décoré à l'intérieur de quatorze colonnes ioniques; à l'extérieur, d'un portique de deux colonnes doriques, au-dessus duquel on lit cette inscription : Il ôte aux nations le bandeau de l'erreur. 
Beaumarchais est un disciple fervent de Voltaire. Il rachète à Panckoucke tous les manuscrits et les droits  pour 200 000 écus en 1778 et entreprend de façon désintéressée l'édition des œuvres complètes. Cette "édition de Kehl",  fut malgré tout critiquée à l'époque et l'est toujours aujourd'hui.
 Plus loin est un petit temple dédié à Bacchus : il est orné d'un péristyle de quatre colonnes ioniques, et décoré au-dehors et au-dedans de peintures allégoriques. Sur la partie supérieure du jardin s'étend une espèce de lac, dont l'eau, fournie par la pompe de Chaillot, alimente des fontaines et des bassins dans la partie basse du jardin. Sous la terrasse à gauche, du côté du boulevard, on a pratiqué un passage voûté, destiné aux voitures qui vont au jardin : ce passage, qui rend à l'une des allées basses, a son entrée par une arcade à l'extrémité du jardin , et avait été décorée des bas-reliefs de Jean Goujon provenant des démolitions de la porte Saint-Antoine : celui du milieu, placé au-dessus de l'arcade, a été enlevé; les deux autres, représentant la Seine et la Marne, subsistent encore. 
Le pavillon Voltaire subsistera jusque vers 1840. On accusera Beaumarchais d'avoir caché des fusils dans l'entrée souterraine du parc. Son tombeau sera  érigé dans le parc (en G) puis déplacé au Père Lachaise.
La partie du bâtiment réservée à la location a 20 toises de face sur l'ancienne place de la Bastille, aujourd'hui place du canal de l'Ourcq. Le rez-de-chaussée se divise en boutiques et logements attenants; les deux étages supérieurs sont distribués en appartements qui ont leur entrée par une cour particulière sur la rue Amelot. Cette maison, bâtie dans une situation avantageuse; a beaucoup gagné depuis la démolition de la Bastille, et par les projets d'embellissements qui s'exécutent aujourd'hui dans ses environs. 
Plan du RdC.
En jaune la salle à manger d'apparat (sur RdC surélevé), en  bleu les communs, en orange l' appartement en location, en rouge les boutiques, en rose les arrière-boutiques.
Pour ménager une entrée théâtrale des plats dans la salle à manger d'apparat  on descendait   l'escalier circulaire venant du niveau de l'entresol. Il fallait donc amener les plats  à ce niveau en venant de la cuisine en sous sol ou de l'office au 1er étage.
 Le jardin a été dessiné par M. Bellanger, architecte dont le talent se fait toujours remarquer par un goût ingénieux et pittoresque, et par une variété inépuisable des formes les plus enchanteresses.
L'eau du jardin provenait de la pompe à feu de Chaillot des frères Perrier, propriété de la "compagnie des eaux de Paris" dont Beaumarchais fut le principal actionnaire. Mirabeau, vendu au banquier Clavière, s'employa dans un mémoire à dénigrer l'entreprise  ce qui déclencha un vif échange de libelles. Beaucoup plus tard Beaumarchais et Mirabeau se réconcilièrent.   

Plan du rez de chaussée.
AA entré, BB cour, C stue du gladiateur, D galerie, F loge du portier, GG escaliers, H remises,I jardin, K écuries, L sellerie, M atelier, N dépendance, O magasin, P boutique, Q arrière-boutique, R entrée de la boutique, S dégagements, T antichambre, U salon, V cuisine, X petite cour ( de service), Y salle à manger (et en dessous les "offices de bouche" et les caves), Z magasin, 

Plan du 1er étage.
A escaliers, B antichambre, C salon de compagnie, D 2e antichambre, E office, F salle à manger , G dégagement, H salon, I cabinet, K cabinet de toilette, L chambre à coucher, M arrière-cabinet, N escaliers dérobés, O bibliothèque, P salle de lecture, Q lieux à "l'angloise" (grande nouveauté avec un siège et une chasse d'eau),  R cour, S terrasse, T grillage et terrasse U jardin anglais.


Le jardin anglais que l'on pouvait visiter  avec des billets d'entrée que Beaumarchais distribuait assez généreusement.
A le gladiateur, B cour, C galerie, D fontaine, EE grands berceaux, F treillage en bois, G salle de verre ou se trouve le tombeau de Beaumarchais, H vase de marbre, I bancs de gazon, K volière Venus, M rocher, N temple de Bacchus destiné aux "collations" (avec la devise "Erexi templum à Bacchus.Amicis que gourmandibus),  O groupe de figures en marbre, P Pont chinois en bois (avec des clochettes), Q Monument à la mémoire de Dupaty, R pièce d'eau, S entrée souterraine (munie d'une glacière), T vases en marbre et cabinet en bosquet, U corbeille de fleurs, V Pavillon de Voltaire, Y entrée souterraine du jardin  
Suivant la mode du temps, il y avait de nombreuses inscriptions sur le socle des statues.

Sites et références

  • Description des plus belles maisons de Paris et des environs. Krafft, graveur Ransonnette. C'est grâce à cet ouvrage que nous sont conservés les plans des hôtels disparus de l'époque.
  • Legrand, Description de Paris et de ses édifices. II, 4e partie. 1818 (2e édition). On utilise sa description de la maison dans cet article.
  • Beaumarchais et son temps : études sur la société en France au XVIIIe siècle d'après des documents inédits. T. 2. Louis de Loménie. Complémentaire de Legrand, donne toutes les devises  du jardin..
  • Grand dictionnaire Larousse XIX e siécle (Jean Goujon)
  • L'écolier illustré. 2 juin 1892
  • Beaumarchais. Catalogue de l'exposition de la BN. 1967
  • La Seine et la Marne : deux reliefs de la porte St Antoine. Persée
  • L'architecture considérée sous le rapport de l'art, des mœurs et de la législation. Ledoux 

La porte St Antoine 
C'est la 3e porte en cet endroit, elle est détruite en 1778. Les statues des fleuves de  Jean Goujon , les bas reliefs et les statues d'Anguier décoreront l'entrée du jardin de Beaumarchais.
Les fossés de la Bastille.
La maison à droite au fond est peut être celle de Beaumarchais  (le nombre de fenêtres et la disposition des cheminées coïncident à peu près). Le bâtiment avait un comble élevé - plus économique - contrairement au gout de l'époque, mais celui-ci était invisible coté jardin.