Au début du XXé siècle, on s'inquiète des ravages de la tuberculose dans les taudis de la capitale. On définit 17 ilots insalubres qu'il faut démolir et reconstruire. L'ilot n° 1 est celui des quartiers St Merri et St Avoye. Démoli dans les années 30, il attendra les années 70 pour être reconstruit sous forme de centre Pompidou et de quartier de l'horloge.
>Maquette du quartier Beaubourg en 1913 par G Renault (musée Carnavalet) La maquette est vue du Nord, on a donc successivement: au premier plan la rue des étuves, puis là rue de Venise, la rue Simon le Franc et le passage Jabach. La rue Beaubourg est à gauche |
Vers 1730, sur le plan de Turgot le futur ilot n°1 est un quartier bourgeois. On note la chapelle St Julien des Ménétriers, rue St Martin, qui disparaitra en 1791, l'hôtel Jabach, rue St Merri, et l'hôtel des juges consuls, derrière l'église St Merri, qui sera démoli vers 1840. La rue Quincampoix est très animée mais on y trouve de beaux hôtels particuliers: Beaufort, la Reynie,... |
Plan des démolitions prévues de l'ilot n°1. Pratiquement tous les immeubles depuis la rue Quincampoix à l'Ouest jusqu'à la rue du Temple à l'Est et depuis la rue aux Ours et celle du grenier St Lazare au Nord jusqu'à la rue du cloitre St Merri et celle de la Verrerie au Sud sont voués à la démolition. On prévoit une voie nouvelle en diagonale qui reliera la rue Beaubourg au Chatelet. Les impératifs budgétaires réduiront heureusement le programme. |
Les différentes zones de démolition. Le tracé de la rue Beaubourg et de la rue du Renard actuelles sont indiqués sur le plan. En marron: démolitions de 1910, quadrilatère Taillepain, St Merri, Renard actuelle, Cloitre St Merri En rouge: quadrilatère Quincampoix, Aubry le Boucher,St Antoine, la Reynie En vert: plateau Beaubourg, quadrilatère Saint Antoine, Rambuteau, Beaubourg actuelle, St Merri En jaune: quartier de l'horloge, quadrilatère St Antoine, Grenier St Lazare, Beaubourg actuelle, Rambuteau |
Plan actuel du quartier |
Les projets sur les ilots insalubres du centre de Paris en 1938. Sur l'ilot n°1 il y a le Palais de la fleur accompagné de jardins. Sur les cartes de l'époque l'ilot n° 1 s'étend souvent du Bd Sébastopol à la rue du Temple. L'ilot n°16 comprend l'hôtel de Sens. Sur la rive gauche c'est l'ilot n°3 aux limites mouvantes. On note le projet de traversée souterraine de la Seine, débouché de la rue de Rennes |
Le plateau Beaubourg dans les années 30 |
Le plateau Beaubourg en 1934. Vue vers la rue Beaubourg et le coté subsistant de la rue des étuves |
Plateau Beaubourg dans les années 50. Vue générale vers l'Est. La zone démolie est constituée de deux quadrilatères, le plus grand est limité par la rue Beaubourg (au fond) , la rue St Merri (à droite), la rue des étuves (à gauche) , le plus petit (devant à droite ) à pour limites les rues St Martin, Aubry le boucher, Quincampoix. |
Le plateau Beaubourg dans les années 70. Vue vers le Sud vers la rue St Merri. L'école à gauche des bains douches sera détruite pour faire place à la fontaine Stravinsky. |
plateau Beaubourg dans les années 70. Vue vers l'Ouest, la rue St Martin |
Plateau Beaubourg dans les années 70. Vue vers le Nord sur les immeubles subsistants de la rue des étuves. |
Depuis la rue Beaubourg on aperçoit les premières poutres du centre Pompidou. La construction du quartier de l'horloge n'a pas encore rasé les immeubles entre la rue Rambuteau et la rue du grenier St Lazare. |
Quadrilatère St Martin, Etuves, Beaubourg, Simon le Franc de l'ilot n°1 |
Rue Beaubourg entre les rues de Venise et Simon le Franc. La largeur de la rue s'explique par la maintien des maisons à l'Ouest de l'ancien tracé de la rue. |
Rue des étuves vers la rue Beaubourg |
La rue Simon le Franc depuis l'ancienne rue Beaubourg. Notez à gauche l'ancienne fontaine Maubuée |
Rue St Martin entre la rue des étuves et Simon le Franc |
Rue Brisemiche depuis la rue St Merri |
Rue Brisemiche |
Rue Brisemiche vers la rue Simon le Franc |
Rue du Renard St Merri |
A la fin du XIX siècle, la tuberculose est (avec la syphilis) la maladie la plus redoutée (1). En 1893, le Conseil Municipal vote la création d'un "casier sanitaire" des maisons de Paris en vue de connaitre les endroits ou la mortalité est la plus élevée. Dans certains quartiers celle-ci est de 5 à 10 pour 1000 habitants alors que la moyenne s'établit entre 3 et 5 .En 1905, un rapport du préfet de Paris introduit la notion d'ilot insalubre ou la tuberculose prospère associée à l'alcoolisme dans des immeubles surpeuplés, dégradés, sans lumière ni confort. En 1906 le rapport Rendu désigne 6 ilots insalubres et la loi de 1915 permet l'expropriation pour cause d'insalubrité. En 1921 on définit 17 ilots insalubres et on se décider à démolir le plus dangereux: l'ilot insalubre n°1.
La démolition de l'ilot
L'ilot est compris dans le quadrilatère limité par la rue aux Ours et du Grenier-St-Lazare au Nord, les rues du cloitre St Merri et de la Verrerie au Sud, la rue du Temple à l'est et la rue Quincampoix à l'Ouest.
Dans les années 1910-1911 on avait déjà démoli pour élargir la rue du Renard, ce qui avait détruit la rue Taillepain et une partie de la rue Brisemiche.
L'ilot n° 1 proprement dit est formé de deux groupes. Le premier forme un quadrilatère: les numéros 93 à 101 de la rue St Martin, les n° pairs de la rue de la Reynie entre la rue Quincampoix et la rue St Martin, du 24 au 28 rue Quincampoix entre la rue de la Reynie et la rue Aubry le Boucher et les numéros impairs de rue Aubry le boucher entre la rue Quincampoix et la rue St Martin
Le second groupe comporte les n° 120 à 138 coté Ouest de la rue St Martin, le coté pair de la rue des Etuves , la rue de Venise et la rue Simon le Franc entre la rue St Martin et la rue Beaubourg, la rue Brisemiche entre la rue St Merri et la rue Simon le Franc, et des immeubles sur la rue Beaubourg et la rue St Merri.
L'ilot comprend 91 ou 93 immeubles dont 77 hôtels meublés abritant 3148 personnes où , d'après le journal "Vu", "la mortalité annuelle par phtisie dépasse 25%"(2). En 1926 les immeubles sont déclarés insalubres et promis à la démolition. Fin 1927 le conseil municipal décide de limiter l'opération pour des raisons budgétaires à 44 immeubles compris entre les rues St Martin, des Etuves, Beaubourg et Simon-le-Franc, ils sont expropriés en 1932 . En 1933 47 immeubles supplémentaires sont expropriés dont 32 situés rue Simon-le-Franc et Brisemiche et 15 situés entre les rues St-Martin, Aubry le Boucher, Quincampoix et de la Reynie.
On envisage alors de démolir 34 immeubles supplémentaires pour dégager l'espace entre la rue des Etuves-Saint-Martin et la rue Rambuteau.
Histoire récente de l'ilot
Au XIX siècle la population bourgeoise abandonne les vieilles maisons pour les nouveaux immeubles d'Hausmann dans des quartiers plus à la mode. Le quartier devient populaire avec des hôtels garnis et de nombreux débits de boisson. L'habitat se dégrade et le moindre coin de cour disparait au profit de constructions parasites.
Il existe dans les années 30 un projet d'agrandissement des Halles sur l'ilot insalubre en cours de démolition. La société générale de travaux urbains veut construire 2337 logements sur un vaste espace s'étendant de la rue Quincampoix (détruite) à la rue du Temple. Ensuite on veut construire un "Palais de la Fleur" (avec abri anti-aérien en sous sol) sur une place dans l'axe de la rue de la Cossonnerie. Le projet capota du fait de l'opposition des approvisionneurs installés autour du pavillon n°8 des Halles avec l'argument imparable: "les fleurs se sont vendues de tout temps à coté des légumes". En 1937 on inaugure un modeste terrain de sport au 120 rue St Martin. Le plateau Beaubourg servira de parking jusqu'aux années 70. En 1961 la conseil municipal est favorable à la construction de logements sociaux sur l'ilot insalubre n°1 dont le plateau Beaubourg. En 1968 c'est une bibliothèque qui doit être construite et enfin en 1972 c'est le projet du centre Pompidou complété par le très dense "quartier de l'horloge"(4). Ce dernier, limité par les rues Rambuteau, St Martin, du Grenier St Lazare et Beaubourg entraina la destruction des immeubles du Nord de la rue Rambuteau (dont les façades auraient pourtant du être classées) et la démolition, avec conservation des façades, des derniers immeubles de l'Est de la rue St Martin.
Les bourgeois ont quitté le quartier au XIX e siècle mais ils reviennent en force, sous la forme bobo, avec la "rénovation". Les immeubles anciens subsistants voient leurs appartements, plus ou moins rénovés, accueillir une population aisée.
En 1972 les travaux de Beaubourg commencent. On a démoli les immeubles entre la rue des étuves et la rue Rambuteau et ceux qui subsistaient à l'Ouest de la rue du Renard |
Les rues de l'ilot ancien
Si les maisons étaient très dégradées, elles étaient aussi très anciennes.
La quartier fut autrefois dédié aux cuirs et peaux du fait de la proximité de la Grande Boucherie du Chatelet. Ensuite les bourgeois s'installèrent dans de beaux hôtels. Les actions de Law, marchand d'illusions, s'échangeaient rue Quincampoix.
Au début du XIX e siècle, ce quartier devenu populaire aux voies étroites s'hérissait facilement de barricades. L'épisode le plus fameux est celui de l'enterrement du général Lamarque. Le 5 juin 1832, tout le quartier se souleva contre Louis Philippe, la barricade la plus importante se situait à l'angle des rues St Martin et Aubry le boucher. Le 6 juin elle tenait encore et le tocsin de St Merri sonnait sans relâche. Il y eut plus de 600 morts et l'épisode fut immortalisé par Victor Hugo dans les Misérables.
Ensuite la quartier sera déséquilibre par le percement de la rue Rambuteau en 1839 et celle du Bd Sébastopol en 1852. Avec les nouvelles Halles on a de nombreuses remises pour voitures et des hôtels meublés ou vit une population misérable de travailleurs précaires et de filles. On compte 132 débits de boisson.
Rue St Martin il y avait au 99 et au 101 deux immeubles du XVIIIe siècle, l'un avec une colonnade abritant une épicerie alors que l'autre abrite le restaurant Jouanne (spécialité de tripes), l'auberge du cerf au 120 avec une enseigne de fer forgé de 1745, au n° 122, la première fontaine du centre de Paris, la fontaine Maubuée, due à Philippe Auguste et qui amenait l'eau " des coteaux de Belleville (5) qui ne permettait qu'une "mauvaise lessive". La fontaine avait été reconstruite avec l'immeuble en 1734 . Au n°170 s'élevait autrefois la chapelle St julien des Menétriers détruite en 1791. Il existe des survivants comme la maison des Goths au n° 116, immeuble romantique construit en 1826.
La rue Simon-le-Franc s'appelait auparavant la rue Maubuée, elle tire son nom d'un garde municipal dont le frère fut marchand de marrons au coin de la rue, c'était vers 1200. Elle était encore très animée avec des raccommodeurs de faïence, des rempailleurs, des marchands de légumes, des hôtels meublés (chez Ajalbert on dormait "à la corde" à la fin du XIX e siècle, c'était 6 F la semaine en 1930) et des débits de boisson.
La rue Brisemiche était semblable à la rue Simon le Franc avec des boutiques d'allure ancienne.
La rue des étuves St Martin tirait son nom des "estuves aux femmes" établie là sous Charles V et toujours ouvertes au XVIIe siècle.
La rue de Venise, dont il subsiste un court tronçon, était une des plus tristes et des plus étroites de Paris. Elle était bordée d'hôtels meublés aux noms déplacés: hôtel Beaulieu, Dais'y hôtel, un café se nommait "à la liberté" En son milieu s'ouvrait l'impasse de la Baudroirie, souvenir du travail du cuir en cet endroit.
Rue de la Reynie (lieutenant général de police sous Louis XIV) les n°1 et 3 sont du XVIII e siècle alors que les autres immeubles étaient reconstruit suivant l'alignement de 1840 (la rue n'a que 2,5 m de large par endroits). Elle était particulièrement "mal famée".
La rue Aubry le Boucher (un vrai boucher du XIII e siècle) avait déjà été amputée lors du percement du Bd Sébastopol, il y eut quelques hôtels bourgeois dont celui de Lamoignon (avant qu'il ne s'installe dans le Marais)
Rue Quincampoix (anciennement rue des cinq diamants dans sa partie basse), Le 24 était peut être l'hôtel de la Reynie, il abritait l'hôtel de la Haute Loire dont l'enseigne déclarait qu'il était "spécialement fondé pour loger la nuit" et conservait un escalier sculpté du temps d'Henri IV, on a au 26 et au 28 de vieilles maisons à l'enseigne de la main dorée. Au 65 se trouvait l'hôtel de Beaufort ou vécu Gabrielle d'Estrée et son fils François de Vendôme, le roi des Halles. C'est rue Quincampoix que s'échangeait sous la Régence les titres de la compagnie des Indes occidentales de Law, ce que rappelle les romans de Paul Féval.
Rue St Merri, au 32, se trouvait l'hôtel de Presty qui possédait un escalier ovale remarquable et fut détruit au moment de la construction du centre Beaubourg. Au 42 s'ouvrait le passage Jabach qui rappelait l'hôtel construit à cet endroit par Bullet pour le financier Jabach.
- Les grandes épidémies de cholera des années 1830 sont passées mais il y aura des cas de peste en 1923 dans l'ilot insalubre n° 9 , porte de Clignancourt. L'ilot sera rasé presque immédiatement et reconstruit dès 1933
- Cette phrase sera reprise dans la presse et dans l'édition de 1937 de "Fils du peuple" de Maurice Thorez (p 190) mais supprimée des éditions ultérieures. Ce livre connaitra 4 versions avec des textes et des photos retouchés suivant la politique du parti du moment. Par exemple l'édition de 1937 ne parle pas de Staline alors que celle de 49 reconnait son génie.
- Saccard fait partie du jury d'expropriation de ses propres immeubles et c'est lui qui rédige le rapport final
- Baptisé ainsi à cause d'un automate "le défenseur du temps" trop souvent en panne et maintenant démonté
- Elle est aujourd'hui réinstallée en face du centre Pompidou à l'angle du tronçon restant de la rue de Venise
Sites et références
- Bulletin de la commission du vieux Paris (en particulier année 1928 pour les photos)
- Bulletin municipal
- Eau gaz à tous les étages.
- Histoire de l'urbanisme à Paris. P Lavedan
- L'Illustration. Paris 1938
- La semaine à Paris n°411 et 412
- L'urbanisme n°7
- Beaux Arts 25/9/31
- Journaux divers
- Paris unplugged, la construction du centre Pompidou