Le plan des artistes pour Paris en 1793

Le titre du plan laisse supposer que des artistes révolutionnaires se seraient  penchés sur l'avenir de Paris, la réalité est plus prosaïque : il s'agit surtout de faire en sorte que les actes de vente des biens nationaux comportent la servitude du tracé de voies nouvelles.
Ce n'est pas le premier plan d'aménagement de Paris. Sous Louis XIV il y eut le plan Bullet et Blondel puis sous Louis XV on eut  le plan Patte et les mémoires de Soufflot.

Les voies nouvelles du  plan des artistes  reportées sur le plan Verniquet 
Les précurseurs 

Le plan Patte des places Louis XV
Le premier plan d'aménagement de Paris date de 1675 par Bullet et Blondel. Il montre l'état présent de la ville mais aussi "les ouvrages qui ont été commencés par les ordres du roi et qui peuvent être continués pour la commodité publique". On y trouve de nouveaux boulevards plantés d'arbres et une ceinture verte à la place de l'enceinte démolie ( Grands Boulevards ).

Patte publiera en 1767  "les monuments à la gloire de Louis XV". Cet ouvrage fait suite au concours d'une place pour la statue équestre du roi. Patte  propose donc divers emplacements avec création de nouvelles places. Il crée un  modèle circulaire sur lequel converge 6 ou 8 rues créant un quartier radio-concentrique. Il trace  un forum de 3 places sur l'emplacement de Halles.
Outre les places Il veut aussi dégager l’île de la cité  "dix sept petites églises entièrement inutiles par leur peu d’étendue , lesquelles n'ont point la grandeur et la dignité convenable pour représenter la grandeur de l'être suprême",  la relier à l’île St Louis et  préfigure le Bd St Michel en rectifiant et prolongeant la rue de la Harpe.

Le "plan d’embellissement de Paris", contresigné par le roi en 1769, s'attache seulement au "dégagement et embellissement des bords de la rivière" (démolition des maisons sur le ponts, élargissement des quais, création d'une place devant NotreDame,..)

Soufflot est contrôleur des Bâtiments du roi de 1755 à 1780, il propose le dégagement du Louvre et la création d'une transversale Est Ouest du pont de Neuilly au château de Vincennes.

La commission

Le plan de Wailly.
Outre de nombreuses avenues à L'Ouest, il propose de réunir l'île de la cité et l'île St Louis  (comme Patte) et le déplacement de l'Hôtel Dieu à L'Ouest dans un bâtiment circulaire copié du projet de B Poyet de 1785.
Suivant une loi d'avril 1793 "les grands emplacements nationaux situés dans les villes et autres lieux dont la vente de masse serait reconnue moins avantageuse, seront divisés et vendus en lots séparés. les directeurs feront tracer des divisions relatives à l'utilité publique et surtout au plus grand avantage à la vente".
L'administrateur Amelot forma une commission qui comprenaient les 4 ingénieurs généraux de la voirie et sept architectes dont de Wailly qui avait déjà proposé un plan d'embellissement de Paris en 1790.
Le rôle principal de la commission est  de tracer les divisions des biens nationaux avec des voies nouvelles. Un rôle secondaire sera de reprendre les projets d'embellissement de Paris qui avaient vu le jour sous la royauté.
Le 14 Thermidor 1794 la Convention décide de suspendre la vente des biens nationaux car "une commission d'artistes est occupée en ce moment d'un plan d'embellissement de Paris".
La commission n'avait qu'un rôle consultatif mais on établit à partir de ses procès verbaux un plan sur le tracé de celui de Verniquet.
Le Directoire supprimera la commission en août 1797.
Le plan disparu  durant l'incendie de l’hôtel de Ville sous  la Commune mais on en fit une reconstitution d'après les compte rendus de la commission pour l'exposition universelle de 1889.
Autre version du plan montrant les biens nationaux concernés en grisé.
A L'Ouest rive droite: monastère des Bonhommes, visitation St Marie, abbaye St Perinne, parc Monceau. Au Nord l'enclos St Lazare, le Temple. A L'Est  les hospitaliers de la Roquette, couvent Nd du Bon secours, Prieuré ND de la Croix, couvent des filles de la Croix, près de la Seine le couvent des célestins.
Rive gauche d'Est en Ouest: L'abbaye St Victor , l'abbaye st Geneviève, les feuillantines,  les carmélites, le Val de Grace, Les capucins, les Chartreux , Abbaye St Germain des près , maison de l'enfant Jésus ,...
Dans Paris les grands espaces libres sont des établissements religieux, les châteaux avec un vaste parc sont dans la "banlieue" (par exemple dans L'Est: St Fargeau ( Ménilmontant) , Bagnolet  ( Charonne)). Ils ont déjà commencé à être lotis avant la révolution et le seront presque tous sous l'Empire.  

Les opérations prévues 

Le Palais National de Molinos et Le Grand 1791
Il s'agit de l'église inachevée de la Madeleine transformée en assemblée nationale 
Plan du Palais National
Coupe du Palais national par Molinos et Legrand 1792
Les pavillons d'octroi de la nouvelle enceinte des fermiers généraux seront brûlés en 1791, on voudra ensuite en faire des "monuments publics ou le nom des tyrans serait inscrit en caractères de bronze",   mais l'octroi sera  rétabli dès 1798
( voir l'article sur le mur des fermiers généraux
Dewailly, propose un plan d'aménagement de la place de la révolution ( ex Louis XV, future Concorde). Au centre colonne avec génie de la liberté, aux quatre angles des pavillons à colonnes et une colonnade coté Champs Elysées. Il produira aussi des projets pour le Panthéon, Le Louvre,...  
Plan de réunion du Louvre aux Tuileries par Poyet en 1790.
Le palais accueillerait le roi,  l'assemblée nationale et l’Hôtel de Ville.
Projet de muséum au Louvre par Molinos et Le Grand
Environ 400 ha sur 3370  que comptent alors Paris  sont déclarés biens nationaux (biens d'abbayes, de congrégation, églises, hôtels, biens du clergé et des émigrés) ; certains sont plus ou moins rapidement transformés en clubs, casernes ou en hôpitaux, d’autres sont vendus dès 1790 libérant de vastes terrains pour la construction.
Il faut aussi " perfectionner les communications en suppléant à leur insuffisance pour le commerce et la circulation, au défaut  de places et de marchés publics, remédier à interruption de plusieurs quais et de multitude de voies étroites ou l'air ne circule qu'avec peine".
Le  plan résultant n'a donc pas vraiment de prétention à un aménagement cohérent de la ville  mais est plutôt  une juxtaposition  de projets.
On reprendra  des  projet élaborés sous  la royauté:
  • Le plan prévoit dégagement du Louvre (en abattant  St Germain l'Auxerrrois) et la liaison avec les Tuileries, la voie reliant la place Louis XV ( la Concorde) à   la place de gréve et celle reliant la place de grève  à la Bastille. L'idée est donc moins ambitieuse que celle de Soufflot et la commision n'envisage aucune percée Nord-Sud
  • Le dégagement de l’île de la Cité que  Patte avait prévu.
  • Dégagement de l'église St Sulpice dont Servandoni avait déjà fait le projet  
  • L'aménagement des quais
  • Une place monumentale à la Bastille.  Notez que sous Louis XVI la prison était  désaffectée et promise à la démolition, plusieurs projets d'aménagement avaient déjà été élaborés. 
La vente des biens nationaux entraîne l'étude de  l’avenue de l’Observatoire sur l’emprise des Chartreux avec la création originale d'une place en étoile autour de l'observatoire.
Paris se verrait donc doté de deux nouvelles grandes places  circulaires avec des rues rayonnantes ( Bastille à l'Est  l'observatoire au Sud) dont le principe vient de  l'ouvrage de Patte.
On trouve aussi  la future rue d’Ulm sur les Ursulines et les Feuillantines, la future rue de la Paix, la  rue Jacob, le  lotissement du Temple et des Célestins, un projet de division de l'abbaye St Victor (mais le rapport indique une extension possible du muséum jusqu'à la rue des fossés St Bernard).
La commission alla cependant plus loin en élaborant un projet sur la largeur des rues et la hauteur des maisons. Les rues seraient divisées en 5 catégories ( étapes)
Les grandes routes  de 14 mètres " qui conduisent d'une extrémité de Paris à l'autre" , les traverses intérieures de 12 mètres  allant d'une grande route à une autre ou à une place, puis les étapes inférieures avec respectivement 10, 8, 6 mètres de large.  La hauteur des maisons étant respectivement de 18,18, 16,14 et 12 mètres. On note que tolérer des rues de 6 mètres avec des maisons de hauteur double n'est guère révolutionnaire en matière d'urbanisme.

Les réalisations

 La plupart de ces projets ne seront mis en œuvre que sous l’Empire ou sous la Restauration. Par exemple  l'avenue de l'Observatoire ne verra le jour, sans place circulaire,  que sous l'Empire.
Les réalisations des années 1790 sont le résultat d'opérations entreprises sous la royauté: rue Madame créée par Monsieur, frère du roi qui la baptise du nom de sa femme (1790), rue Fleurus, rue Jean Bart, rue des Colonnes (1795 - 1798), rue et passage du Caire (1795 - 1798), sur l’emplacement du couvent des Filles-Dieu, premier passage couvert de Paris avant le passage des Panoramas (1800), achèvement de la rotonde du temple ( 1788-1790), ...

Les projets d'architecture contemporains de la commission

Certains architectes réussissent parfaitement la transition de projets royaux à des projets républicains.
De Wailly ( devenu Dewailly)  et son élève Poyet proposent de nombreux projets avec une nette prédilection pour la forme parfaite: le cercle.
Petit-Radel, membre de la commission,  après avoir réalisé  la chapelle de la Vierge de l'église St Médard en 1784, propose sous la Terreur un procédé sans danger "pour mettre à bas une église gothique en dix minutes".
Certains projets conçus sous la royauté sont recyclés comme le transfert de l'Hotel Dieu à l'île aux cygnes par Poyet.
La nature des édifices change mais la conception est inchangée: il n'est plus question de salle d'opéra au Carrousel  (Bélanger et Boullé) ou à la place de la Concorde (Poyet) mais de temple de la nation au Panthéon, de Palais National .. 
Les projets  proposent toujours des places à colonnades,  comme sous l'ancien régime, mais maintenant  avec une colonne centrale couronnée du génie de la liberté ou de la paix. 
Le dégagement et l’achèvement du Louvre va  continuer à occuper les architectes jusqu'au règne de Napoléon III.
La Constituante est d'abord à Versailles, puis dans le Manège des Tuileries, la Convention siège dans la salle des machines du palais des Tuileries. Il faut attendre le directoire et le conseil des Cinq-Cents pour qu'on  affecte le Palais Bourbon à la représentation nationale. 
Dans l'intervalle les architectes ont élaboré des projets pour accueillir dignement les représentants du peuple. Molinos et Legrand les voyaient  à la Madeleine, Poyet au Louvre,  mais c'est Gisors et Leconte qui vont construire une salle au Palais Bourbon. Le résultat vu de la Seine fut comparé à un pain de sucre et les architectes   proposèrent une colonnade circulaire, projet jugé trop coûteux et auquel on préférera la colonnade actuelle bâtie par Poyet en 1806.

Sites et références

Le projet de Poyet pour l'Hotel Dieu en 1785, le monument central est alors une église.
L'architecte   fit aussi un projet pour la place de la Concorde dotée d'un opéra, présenté une première fois à Louis XVI puis avec un simple changement de dédicace au premier consul.