Les musées d'ethnographie parisiens: du jardin des plantes au musée de l'homme.

Les voyageurs et les premières expéditions scientifiques européennes ramenèrent de chez les "sauvages" des objets étranges qui s'entassèrent dans les cabinets de curiosité.
A la fin du XIX e siècle ces témoins de la diversité de l'humanité suscitent suffisamment d’intérêt pour que l'on crée en 1882 un "muséum ethnographique des missions scientifiques" dans le palais du Trocadéro bâti pour l'exposition universelle de 1878.
On va vraiment s'intéresser dans les années 30 au "folklore" de notre propre pays, ce qui amènera la création d'un musée national des Arts et Traditions populaires décrit dans un  autre article.
Ensuite on reconnaîtra aux objets créés par les "primitifs" une dimension artistique et ce sera le musée des arts premiers.


 Plan
  • Les origines
  • Le musée ethnographique du Trocadéro
  • Le musée de l'homme du Palais de Chaillot
  • Sites et références
    • Le musée de la Marine
    • Le musée des colonies
    • Les deux autres musées du Trocadéro
Buffon et les naturalistes dans le cabinet du Roi
Edme François Jomard , directeur du dépôt géographique de la bibliothèque du Roi, introduit  en 1831 un système de classification des objets ethnographiques basé sur leur utilité pratique et sociale (des besoins élémentaires aux besoins spirituels). Ce système permet de comparer  directement des objets d'origine géographique différente.
Von Siebold, à la même époque, soutient une classification basée d'abord sur  l'origine géographique et ensuite sur l'utilité en reprenant pour celle ci la proposition de Jomard.
Hamy va s'inspirer de la classification de Siebold  en incluant les peuples vivants et les civilisations disparues.
En 1930 la classification officielle est la suivante: technomorphologie  ( adaptation au sol), technologie, esthétique, démographie ( recensements, statistiques)
Le temple de Xochilaco à l'exposition de 1867
"Il existait donc une vie sociale et un art au Mexique avant que les Européens y eussent mis le pied !"
écrivait le journaliste décrivant le pavillon élevé par M Méhédin.
En montant l'escalier et en soulevant le rideau on découvrait "la table des sacrifices".
La base creuse abritait les collections des "missions artistiques et scientifiques de Léon Méhédin dans les deux mondes". Ce Rouennais avait été envoyé au Mexique par Napoléon III dans le sillage de Maximlien 1er pour renforcer l'influence française, malheureusement Maximilien est renversé et exécuté en juin 67.
Le palais du Trocadéro de 1878 et son jardin.
Disposition initiale des musées du Trocadéro 
Vitrine péruvienne en 1882: costume, vases accouplés (silvadores) , bâton de commandement. 
Intérieur breton. En 1889 on installera aussi un intérieur auvergnat. La revue des traditions populaires est créée en 1886 
Statues des rois du Dahomey en 1894. Don du général Dodds  qui les sauva de l'incendie d'Abomey
Plan "définitif" du musée d'ethnologie en 1930
Le hall  coté Paris du musée rénové en 1930 . Le Moaï de l'ile de Paques provient du muséum d'histoire naturelle comme les collections d’anthropologie physique et de préhistoire.  
Vitrine des Aïnous ( Nord du Japon et Russie) en 1934 dans la nouvelle salle  d'Asie
La galerie autour de la salle des fêtes et l'exposition du Sahara  en 1934
La vénus hottentote du musée de l'homme ( voir le film la vénus noire)
Les chefs d'œuvre du musée de l'homme en 1965
Les travaux de rénovation du musée de l'homme montrent bien que les pavillons ne sont que le rhabillage en 1937 de l'ancien Trocadéro de Davioud de 1878

Les origines

Le jardin de plantes, créé sous Louis XIII, comprend d'abord des plantes médicinales et le "cabinet du Roi" .Ensuite, au XVIII e siècle le jardin évolue vers l'histoire naturelle et les expéditions vont ramener, à coté des plantes et des animaux, des objets ethnographiques (par exemple des "habits de plumes à l'usage des sauvages amériquains")
D'autres objets rapportés par les marins enrichissent la  salle de marine du Louvre, créée en 1748.
Les riches particuliers possèdent aussi des "cabinets de curiosité"  mélangeant histoire naturelle, œuvres d'art, objets antiques et objets  ramenés d'expéditions.

A la Révolution le jardin devient Muséum d'Histoire Naturelle et nombre d'objets du cabinet du roi -mais aussi de cabinets de particuliers- sont transférés au cabinet  des médailles et antiques qui se crée à la bibliothèque nationale.(1)
Il n'y a pas grande différence à l'époque  entre les "antiques" et les objets des peuples sauvages: tous deux sont des témoins des stades inférieurs du développement de l'humanité , les uns séparés par le temps, les autre par l'espace de la civilisation moderne.
Sous Charles X la salle de Marine devient un musée de la marine, le musée Dauphin. Il va occuper une quinzaine de salles dans la cour carrée du Louvre avec, à coté de maquettes de bateaux, des objets ethnographiques.
Toujours sous Charles X  François Jomard essaye de mettre en ordre le dépôt ethno-géographique de la bibliothèque nationale devenue bibliothèque du Roi.(2).
La création d'un musée d'ethnographie va être retardée par une bataille entre la BN, la marine et le muséum, chacun voulant être le seul dépositaire  du futur musée.
Début 1878, juste avant l'exposition, une partie du Palais de l'Industrie (3) est affecté à la présentation provisoire des collections d'Amérique du Sud.  


Le public du XIX éme siècle a un réel intérêt  pour la découverte du monde et la conquête coloniale.

Au début du siècle l'expédition d'Egypte fait prendre conscience de l'existence d'autres civilisations, ce sera ensuite la conquête coloniale, dont Jules Ferry est le fervent défenseur, qui amènera l’intérêt vers les "peuples sauvages "
En 1860 le journal "Le tour du monde " de Charton apparaît, il abordera aussi bien les expéditions lointaines (la première description d'Angkor par Mouhot y paraîtra en 1863) que les régions Françaises ou les pays européens. Le journal aura de nombreux imitateurs et sa parution ne s’arrêtera qu'à la guerre de 14.

Les   expositions universelles vont être l'occasion de présenter les collections ethnographiques.

L'exposition de 1855 se consacre surtout à l'industrie mais en 1867 chaque nation construit son propre pavillon  et c'est l’occasion  de présenter des objets d'artisanat ou des reconstitutions.
Les choses sont plus sérieuses en 1878  car on construit le palais du Trocadéro dont les deux ailes contiennent "l'exposition des arts rétrospectifs" . L'aile Ouest était dédiée à "l'exposition historique de l'art ancien" de la préhistoire aux temps modernes et l'aile Est à "l'exposition ethnographique des peuples étrangers" de l'Egypte à la Suède, avec une mention spéciale pour les objets du musée Cambodgien de Compiègne. Dans les jardins du Trocadéro on installe aussi une exposition d’anthropologie physique.
  1. C'est l'actuel département des Monnaies, Médailles et Antiques
  2. "Sa Majesté vient de consacrer à la. géographie, par une ordonnance du 30 mars 1828, un département spécial, qui prendra place à la Bibliothèque du Roi, à côté des départements des livres, des manuscrits, des antiques et des estampes"
  3. palais construit pour la première exposition universelle française de 1855.

Le musée ethnographique du Trocadéro

Jules Ferry décide de créer dans le palais un musée de la sculpture comparée dans l'aile de Paris , un musée des moulages de l'Assyrie et l'Egypte à la décadence romaine dans l'aile Passy, et un musée d'ethnographie au 1er étage des pavillons qui encadraient la salle des fêtes.
Le musée des moulages antiques ne verra jamais le jour mais le musée de sculpture comparée occupera petit à petit les deux ailes du palais (1)
Ernest Hamy fut le rapporteur du projet de "musée des missions ethnographiques", le responsable officiel étant Watteville. les deux premiers conservateurs furent Hamy et Armand Landrin. Le musée ouvre en 1882 avec comme premier fonds  la collection du cabinet des antiques de la BN. Il   avait une vocation purement scientifique et était rattaché à la direction des sciences et lettres. On créa parallèlement la revue d'ethnographie. L'idée directrice du musée était plutôt de présenter l'histoire des progrès de l'humanité.
La salle de France - folklore-  est inaugurée en 1885, elle comporte des vitrines noires présentant objets et mannequins et une reconstitution d'un intérieur breton.
Le musée d'ethnographie est donc bien installé quand survient l'exposition de 1889, située sur le Champs de Mars avec un palais des arts libéraux (2) consacré à une exposition rétrospective du travail et des sciences anthropologiques dont la première section est consacrée à l'anthropologie, l'ethnographie et l'archéologie. 
Les collections ethnographiques du musée de la marine furent versées en 1905 au nouveau musée. Hamy démissionne et est remplacé par René Verneau en 1906.
Le musée était installé dans des locaux inadaptés, souvent fermé partiellement (3) , avec un budget dérisoire, mais ses collections s'enrichissaient. Les artistes de l'époque, Picasso en tête, découvrent dans ce musée  poussiéreux l'art nègre.
Durant la guerre de 14 le musée est fermé et les collections se dégradent.(4)
En 1928 le musée est rattaché au muséum avec un nouveau directeur -Paul Rivet - et reçoit enfin des crédits substantiels. Le premier effet est la fermeture de la salle française mais le musée se réorganise et s'agrandit et ... doit fermer définitivement en 1935 car le Trocadéro doit laisser la place au palais de Chaillot pour l'exposition de 1937.

Cette exposition va être l’occasion de s'intéresser de plus prés au folklore français; ainsi va s'imposer l'idée de la création d'un  musée national des arts et traditions populaires décrit dans un autre article.

Il existait aussi, depuis 1924, un autre musée ethnographique consacré à la vie quotidienne des poilus durant la grande guerre. Il était installé dans le pavillon de la Reine du château de Vincennes et disparaitra avec le dynamitage de celui-ci en 1944. Un autre article lui est consacré
  1.  avec le musée indochinois à l'extrémité de l'aile Passy.
  2. Sur le Champs de Mars perpendiculairement à la galerie des machines il y a deux ailes: le palais des beaux arts coté Est et le palais des arts libéraux coté Ouest. Il y a aussi les diverses maisons  l'histoire de l’habitation humaine par Garnier 
  3. Les collections asiatiques avaient été déposées à Guimet en 1890 faute d'espace.
    Après 1900
     le musée de sculpture comparée a pour conservateur Enlart qui lorgne sur les locaux de ce pauvre musée
  4. Aujourd'hui le MuCEM ne possède que 26 photographies du musée  et il se propose " de vérifier si les objets photographiés existent encore dans les réserves du musée"

Le musée de l'homme du palais de Chaillot

Le palais de Chaillot n'est pas un nouveau bâtiment mais une adaptation et un agrandissement de l'ancien Trocadéro. Les ailes sont doublées en épaisseur, les pavillons agrandis, la salle des fêtes est démolie au profit de la salle de  l'actuel TNP et le tout est rhabillé de façon "moderne".
Le nouveau palais contiendra dans l'aile Paris le musée des monuments français et dans l'aile Passy au rez de chaussée le musée de la marine et dans les étages le musée de l'homme et le musée des arts et traditions populaires (1).
On présente dans le nouveau musée les anciennes collections du musée d'ethnographie mais aussi l'ensemble des collections d'anthropologie et de préhistoire du Museum.
Son conservateur est toujours Paul Rivet (2) qui insufflera l'esprit de résistance durant l'occupation. Le réseau du musée de l'homme fut  avec le CND Castille du colonel Rémy les premiers réseaux importants de renseignements et d'évasion vers l'Angleterre.
Le musée présente 3 axes majeurs: préhistoire, anthropologie, ethnologie (3)
Le musée national des arts et tradition populaires déménage en 1969 au bois de Boulogne
L'ethnologie extra européenne est transférée au quai Branly en 2003. L'idée directrice de ce nouveau musée est plus esthétique qu'ethnographique.(4)
Victime de la malédiction des musées français (investissement à l'ouverture, puis crédits insuffisants pour rénover entraînant la désaffection du public(5)) le  musée est fermé en 2009
Le nouveau musée de l'homme, propose une "galerie de l'homme" : des origines de l'homme, de la nature humaine, des relations entre l'homme et la nature. C'est un parti pris très différent de celui de l'ancien musée qui proposait, après les salles d’anthropologie physique et de paléontologie humaine, un parcours par continent avec une seule salle thématique: " arts et techniques"(6).

  1. En 1936 on prévoyait que le nouveau palais de Chaillot accueillerait aussi en rez de jardin le musée du matériau coté Passy et le musée de l'enregistrement mécanique coté Paris ! le musée des matériaux est mort né, celui des travaux publics, tout proche, aura une brève carriére de 1939 à 1955. Il faudra attendre 1972 pour qu'un musée du cinéma s'installe à l'extrémité  de l'aile Paris 
  2. Paul Rivet s'enfuira en Amérique du Sud, c'est Marcel Griaule qui le remplacera durant l'occupation et sera suspendu à la libération. Levistki, Lifchitz, Vildé seront tués par les nazis, Germaine Tillon et Yvonne Oddon seront déportées.
  3. Parmi les grands noms du musée de l'homme citons Claude Levi-Strauss sous-directeur dans les années 50, Michel Leiris,  Jean Rouch ...
  4. Picasso avait connu l'art nègre dans le musée d'ethnologie du Trocadéro, les écoliers d'aujourd'hui connaîtront l’ethnologie grâce à un "musée des arts premiers".
    Le musée du quai Branly  a aussi reçu les collections des arts d'Afrique et d'Océanie de l'ancien musée des colonies de la porte Dorée
    Une partie des œuvres, choisie par J Kerchache,  est exposée 
     au Louvre, écho moderne du musée de la marine et d'ethnographie de Charles X
  5. Ajoutons que pour un homme politique il est utile de parrainer un gros équipement et parfaitement inutile de l'entretenir. Il en est de même de l'image des  conservateurs, architectes,...
  6. Le classement "par continents" reste celui du musée du quai Branly avec en plus une section mondialisation "sur la rencontre des sociètés occidentales avec l'ailleurs"


Sites et références 

Le musée de la marine

La salle de marineLe musée de la marine  dans la cour carrée en 1867Le musée de la marine en 1900.
Le ministère des colonies occupe alors l'actuel emplacement de la section des arts primitifs 

La salle de marine créée en 1748 au Louvre s'enrichit à la révolution de la collection du Duc d'Orléans et de collections de particuliers. Napoléon entreprend une collection de modèles de navires de guerre au Trianon. Charles X créé le musée de la marine au Louvre qui s'enrichit des collections de Trianon et des arsenaux, puis de la vente du cabinet de Vivant Denon.  Le musée occupe d'abord 7 salles dans l'aile Nord du Louvre puis 14 salles au 2e étage de la cour carrée. Le musée dépend des beaux arts et l'amiral Pâris en est le conservateur le plus marquant. il
A son maximun de développement il contient  19 salles dont six dédiées à l’ethnographie. En 1905 les collections ethnographiques sont versées au musée ethnographique du Trocadéro, au musée des antiquités nationales de St Germain en Laye et au musée chinois de Fontainebleau. En 1943 le musée de la marine sera inauguré au Palais de Chaillot.
A coté du musée ethnographique de la marine s'ouvre en 1850  le
 "musée américain"  avec des objets mexicains et péruviens, il sera  plusieurs fois déménagé dans le palais  et son contenu finalement exposé au Trocadéro en 1887. Il y aura aussi au Louvre le musée chinois et le musée d'Afrique (ou Algérien) non ouvert au public



Le musée des colonies

Façade avec la statue "la France apportant la paix et la prospérité aux colonies'.
En face, en 1934, sera élevé le monument de la mission Marchand plastiqué en 1983.
La vocation actuelle du monument est d'être le musée de l'histoire de l'immigration.
Hall. Les galeries ne sont pas des lieux d'exposition très pratique.
A ses débuts le musée a surtout des tableaux explicatifs et des dioramas
.En l'espace de 5 ans , avant guerre , il va s'enrichir considérablement grace à l'action des agents coloniaux. Ses collections, récentes mais remarquables pour l'Afrique et l'Océanie sont au quai Branly 

L'exposition coloniale de 1931 comprend des sections françaises et étrangères et un bâtiment destiné à recevoir un "musée des colonies" mais aussi les réceptions durant l'exposition. Il  contient une salle des fêtes et deux salons ovales  aux deux extrémités (pour Paul Reynaud et  Lyautey). L'histoire coloniale - depuis les croisades-  est exposée dans les deux halls qui flanquent la salle des fêtes et les galeries. Le premier étage présente " la synthèse de l'effort français aux colonies". Ary Leblond est le directeur du musée de 1934 à 1939, durant cette période la collection du "musée de la France d'outre mer" va s’accroître rapidement grâce à l'action des agents coloniaux . André Malraux le transforme en musée des arts africains et océaniens. Le musée ferme ses portes en 2003 et ses collections vont au quai Branly. 

Les deux autres musées du Trocadéro

Le musée de sculpture comparée ouvre en 1882 dans l'aile Paris .Il occupera dés 1889 également l'aile Passy ( à l'exception de son extrémité occupée par le musée Indochinois)
En 1938 il devient le musée des monuments français et  occupe l'aile Paris alors doublée coté Seine d'une nouvelle galerie. Dans les étages on établit des reproductions de peintures murales.
Complètement délaissé, il fermera en 1997 à la suite d'un incendie. La cité de l'architecture reprendra  les peintures et l'essentiel de ses moulages avec une nouvelle galerie moderne au second étage 

Le musée Indochinois contenait moulages et originaux., il  était accessible avec le  même ticket que celui de l'aile  Passy du musée de sculpture comparée. Les originaux seront transférés à Guimet après 1925 et les moulages seront "stockés"


En 1936 on prévoit que le nouveau palais de Chaillot accueillera en rez de jardin  le musée du matériau coté Passy et le musée de l'enregistrement mécanique coté Paris.