Les conséquences de l'incendie du Bazar de la Charité

Le Bazar de la Charité était  le rendez vous annuel de la bonne société charitable. La lampe à éther d'un projecteur de cinématographe s'enflamma et le bâtiment en bois et son décor représentant une rue du moyen age disparurent en 20 mm. 125 personnes périrent. L'émotion fut immense car il s'agissait surtout de dames de la haute société (dont la duchesse d'Alencon, sœur de Sissi).
On jugea dans les salons que la mémoire de l'événement ne devait pas périr lui aussi. Une association se forma pour construire une chapelle sur les lieux du drame. Par ailleurs la comtesse de Castellane donna 1 million pour construire en dur un nouveau bazar ininflammable.
En 1900, 3 ans après le drame, les deux bâtiments étaient construits.
La rue du moyen age. Décor du Bazar de La Charité en 1897 construit en bois et toile goudronnée.
Les ventes de charité s’effectuaient le plus souvent dans l’hôtel particulier d'une dame fortunée mais les ventes importantes requéraient un édifice spécial
Emplacement du Bazar de la Charité rue Jean Goujon
Le bâtiment, parallèle à la rue, a entièrement brûlé  
Façade principale des Galeries de la Charité.
Le fronton porte l'inscription "Fondation Miller-Gould". (Hellen Miller était la mère d'Anna Gould)
Le Hall
En 1900 les principales sociétés de bienfaisance étaient: la Société protectrice de l'enfance (1865), de protection des apprentis (1866), des orphelinats agricoles (1866), d'éducation et d'enseignement (1867), l'Union des associations ouvrières catho- liques (1871), la Société antiesclavagiste (1888), la Société française des habitations à bon marché (1889), le Musée social (1894), les Galeries de la charité (1900).
Inauguration des galeries de la Charité par l’archevêque de Paris le 23 avril. Le hall est orné de guirlandes de glycine et "au pied de chaque pilier se tenait un laquais poudré à blanc et revêtu d'une magnifique livrée rouge et or" 
Inauguration de la chapelle Notre-Dame-de-Consolation par l’archevêque de Paris le 4 mai 1900, soit trois ans jour pour jour après l'accident.
La façade rue Jean Goujon. Sous la chapelle se trouve une crypte. les deux portes latérales permettent d’accéder au bâtiment des soeurs sans passer par la chapelle.
L'autel avec la Mater Dolorosa aujourd'hui disparue.
La nef circulaire est ornée de 8 colonnes de marbre encadrant des urnes funéraires

Le chemin de croix, orné de bas reliefs en bronze argenté, forme les trois cotés d'une cour intérieure derrière la chapelle.
Des cénotaphes ont été ajoutés par la suite. 

Malgré l'émotion considérable la réglementation incendie évoluera très lentement mais la prise de conscience du danger entraînera quelques améliorations dans les théâtres et les magasins.
Le développement du cinématographe, qui deux ans après sa création provoquait l'accident, fut peu affecté par l’événement.

Une cérémonie funèbre fut célébrée à Notre dame aux frais de l'Etat en présence du président Felix Faure. Le prêche ultra-clérical entraîna une réponse d u député Henri Brisson à la chambre ce qui n’empêcha pas celle ci de voter un crédit de 14000 F  pour les conséquences  de l'événement

Les nouvelles "Galeries de la Charité"

Anna Gould, riche héritière des chemins de fer américains, épousa Boni de Castellane, héritier désargenté d'un nom et dandy, . Ils firent construire un somptueux hôtel particulier, le Palais Rose, stupidement détruit dans les années 60.
Le couple donna des fêtes somptueuses mais madame la comtesse, comme il est de bon ton à l'époque, se préoccupait aussi de bonnes œuvres. Elle demanda donc à son architecte, Sanson, de construire un bâtiment  pour accueillir les ventes de charité au 25 rue Pierre Charron (aujourd'hui avenue Pierre 1er de Serbie).
L'édifice, de style romano byzantin, s'étendaient sur 3000 m² entre la rue Pierre Charron et la rue de Chaillot. La  structure du bâtiment était en briques et en fer avec des façades en pierre. Trois coupoles vitrées  éclairaient un grand hall central avec deux rangées de galeries. Le premier étage était desservi par quatre escaliers aux deux extrémités de la salle.
L'inauguration eut lieu le 23 avril en présence du Cardinal Richard, archevêque de Paris. L’événement fut hélas  un peu masqué par l'ouverture de l'exposition universelle qui avait eu lieu la semaine précédente.
Les Galeries de la Charité accueillent dès le  mois de mai la vente des dames du Calvaire "au profit des incurables pauvres recueillis dans leur hospice".
La grande guerre marque la fin de la Belle Epoque et aussi celle des grandes ventes de charité.
A la fin des années 30 le bâtiment fut remplacé par un immeuble d'habitation.

La chapelle de la rue Jean Goujoun

La chapelle fut élevée à l’emplacement du Bazar de la Charité par Albert Guilbert.. Une façade Louis XVI avec un double escalier qui mène  une nef circulaire avec une colossale Mater Dolorosa . Derrière l'autel une galerie formant chemin de croix mène aux cellules des sœurs de Saint André  chargées à l'origine de l'entretien de l'édifice.
La chapelle est toujours la propriété de "l'association du mémorial du Bazar" formée de descendants des victimes. Les sœurs ont laissé la place en 1953 aux missionnaires de St Charles Borromée (mission Italienne), puis en 2013 à la Fraternité sacerdotale St Pie X (traditionalistes) 

Sites et références

Le thème principal de la peinture de la coupole par Maignan.
La Vierge conduit les victimes: la duchesse d'Alençon, .Mme de Chevilly ,deux jeunes sœurs, Mme de Valence et ses deux filles à genoux, Mme de Bonneval, Mme de St Didier, Mme de Vatimesnil, au fond, portant son enfant sur son dos, le docteur Feulard
La composition de la coupole. Le Christ se penche vers le cortège des victimes. A ses cotés des anges portent les attributs de la passion, au dessous la foi, l'espérance et la charité, cette dernière inscrivant les noms des victimes. 
La coupole est éclairée par des baies cachées
Coupe de la chapelle et du chemin de croix. Le bâtiment des sœurs, à l’extrême droite n'existe plus
Tombeau de la Duchesse d’Alençon à Dreux 
Vue aérienne des Galeries de Charité vers 1920. On distingue nettement les 3 coupoles 

La réglementation incendie 

Au Moyen Age les incendies concernaient les églises (ou des villes entières), ensuite ce furent les théâtres et les magasins.
La première réglementation post-révolutionnaire date du directoire, 1er germinal an 7, et impose des sapeurs-pompiers dans les théâtres mais, 12 Messidor an VIII, les réunions politiques ou mondaines sont exclues du champ d’action du préfet de police pour empêcher toute ingérence.
Le corps des sapeurs pompiers, bien organisé sous l'ancien régime, est devenu inefficace et mal commandé..
L’incendie  du bal de l’ambassade d’Autriche en 1810 est un événement du même type que celui du Bazar de la Charité . Là aussi le public était de la meilleure société, le bâtiment provisoire construit en matériaux inflammables et les sorties insuffisantes.Comme il s'agissait du bal donné à la suite du mariage de Napoléon et de Marie Louise, une autrichienne, la presse fut censurée et l'émotion "contenue".  Napoléon, à la suite de cet  l’incendie réorganise les  sapeurs-pompiers qui deviennent une formation militaire en 1811. 
Une ordonnance de 1881 fixe la réglementation des » théâtres, concerts ou autres lieux de plaisir ou de spectacle » et en 1884 une loi confie aux maires la sécurité incendie.
L’opéra-comique brûle en 1838, puis en 1887. Le Bon marché brûle en 1881 ...
L’incendie du Bazar de la Charité entraîne une réunion houleuse du conseil municipal le 10 mai 1897 où le préfet de police est interpellé. Celui-ci explique que le local du Bazar de la Charité avait été utilisé juste avant l’incendie en théâtre pour des représentations de la Passion. En tant que théâtre le préfet de police avait émis des recommandations mais en tant que réunion privée sur invitation il n’avait pas de pouvoir du fait de la loi de Messidor
Il envisage d’étendre l’ordonnance de 1881 « aux établissements, lieux publics ou particuliers et établissements industriels d’une importance majeure » Sont ainsi visés « les hôpitaux, maisons de santé, collèges, écoles, salles de bal, salle de cours, hôtels à voyageurs, établissements industriels, magasins et bazars, les grands établissement de crédit … » mais ne peut aller contre la loi et surveiller des réunions du type de celle du Bazar de la Charité.
Une ordonnance sera prise pour les théâtres le 1 octobre 1897.
L’extension du champ d’application des mesures de sécurité restera lettre morte et on en reparlera lors de l’incendie de la comédie française en 1900, puis en 1902,… elle sera enfin adoptée en 1906 avec des dispositions pratiques sur les dégagements et les sorties de secours..

Le cinématographe

Le cinématographe n'avait que deux ans lorsque éclata l'incendie par sa faute. Il a alors  un succès modéré: seules 36 personnes assistent à la séance.   Le projecteur Normandin-Joly est installé dans une salle attenante au Bazar. Fabriqué par l'AOIP, il  projette des films sur pellicule 35 mm non standard à 5 perforations probablement tournés par Eugène Pirou.  Il a   une lampe Molteni Oxy-éthérique (combustion d’un jet d’oxygène saturé de vapeur d’éther portant à incandescence un bâton de chaux. Ceci exige un carburateur où s’effectue le mélange). 
Le réservoir d’éther étant vide  le projectionniste veut le remplir et on craque une allumette dans le noir ...
Le danger venait autant de la lampe que de la pellicule en nitrate de cellulose très inflammable. Il ne semble pas, contrairement à ce qui a été écrit, que le développement du cinéma ait été vraiment contrarié par l'incendie mais on prendra conscience du danger potentiel et on réglementera.
Après l'incendie du bazar de la charité, l'appareil devait se trouver dans une cabine métallique. "Il faut toujours avoir à la portée de la main, au moins un extincteur de 5 litres, un siphon d'eau de Seltz et un seau plein d'eau, dans lequel on fait baigner une couverture qui sera d'un grand secours, en cas d'incendie, pour étouffer les premières flammes." L'abandon progressif des lampes à flamme pour l'électricité améliorera la sécurité d'un cinéma encore forain.