Histoire de la loi de 1948 à Paris

A la fin de  la Grande Guerre le gouvernement bloque les loyers. Le résultat après  la seconde guerre  est que si les heureux locataires en place payent 4 fois plus  pour leur tabac que pour leur loyer , pour les autres ce sont des taudis car  la construction s'est arrêtée . On imagine une solution "scientifique" : les loyers anciens seront revalorisés suivant une formule complexe et les loyers des nouvelles constructions seront libres.  Il reste aujourd'hui de l'ordre de  100 000 appartements loués sous la loi de 1948, principalement à Paris, avec des loyers de l'ordre de 250€ pour 60m²

Toute la presse écrira sur  la nouvelle loi de fixation des loyers. Science et Vie est intéressée par son coté "scientifique"
La cité Jeanne d'Arc dans le XIIIe.
Un des ilots insalubres de Paris les plus célèbres. Démolie à partir de 1939, une première tranche sera reconstruite en 1941, le reste devant attendre les années 50. 
Le rapport Sellier de 1937 décrit 17 ilots insalubres à Paris
Intérieur d'un appartement de la Cité Jeanne d'Arc.
Après guerre le niveau de confort et d'entretien des immeubles parisiens est lamentable. Les logements ouvriers sont très petits, sans salle de bains ni eau chaude avec souvent les WC sur le palier .

L'entassement dans les appartements ouvriers est considérable. La loi de 48 ne change rien à cette situation due au manque de logements.
Le 2 février 1954 une femme meurt de froid et c'est l'appel de l'abbé Pierre. Le gouvernement décide des mesures en faveur de la construction de nouveaux logements  et des HLM
Même les classes aisées souffrent de la cohabitation forcée entre générations. 
Il faudra attendre la cinquième République pour qu'une série de décrets " urbanisme, HLM, crise du logement" instaurent les ZUP et que  démarre la "rénovation urbaine"

Classement des immeubles par catégories
Exceptionnelle: grand luxe, ascenseur, escalier de service, vide ordure, chute lettres..
Première catégorie: luxe, récent, ascenseur, escalier de service 
2C: ancien, accès médiocre, pas d'ascenseur, pas de SdB mais WC
3A: quartier modeste, construction médiocre, pas d'ascenseur, pas de SdB  mais WC
Classement des immeubles par catégories
2A:Immeuble récent ascenseur, monte charges, escalier de service, pas de vide-ordures
2B:  ascenseur, escalier de service, pas de monte charges
3B: ancien, vétuste, WC sur le palier
4:Ancien, "construction en désagrégation".
Je suis né en 1949 dans un immeuble "en désagrégation" près du marché St Germain. Le quartier a échappé aux rénovations des années 60  et il y a aujourd'hui tout le confort, la boulangerie du RdC est devenue une galerie d'art.
Seules subsistent aujourd'hui les catégories II A à IV.
Le calcul du loyer loi de 48 est difficile, L'Aurore du 20 décembre 1948, comme l'Humanité du 10 décembre, proposent un guide aux propriétaires. Seules les parties mansardées, les garages, les hangars, les jardins, ont un loyer librement fixé ,sauf désaccord qui conduit au tribunal.
En 1948 la presse de gauche s'indigne de cette loi qui va entrainer une augmentation "de 75 à 300% des loyers" . L'Humanité estime "qu'il s'agit d'une brimade de plus à l'égard des honnêtes gens"
Même la presse "people" s'intéresse à cette curieuse notion de "surface corrigée" et interroge des célébrités. Ceux qui habitent des hôtels particuliers ne se sentent pas concernés mais les autres préfèrent l'augmentation forfaitaire de 33%. 

En 1939, sur 13 000 000 logements recensés, 2 600 000 sont vétustes, 1/3 possèdent l'eau courante, 1/10 une salle de bains. 

Le blocage des loyers au sortir de la Grande Guerre partait d'un bon sentiment mais a eu des conséquences catastrophiques 

La construction s'arrêta et les propriétaires n'entretenaient plus leurs immeubles. Les mal-logés étaient légion malgré la loi Loucheur de 1928  favorisant l'habitat social et les HLM. En 1913 on construisait 1997 immeubles à Paris , en 1933 910, en 1934 724,.. En 1939 2% des immeubles n'ont pas l'eau, 20% n'ont de l'eau que sur le palier, 50% n'ont que des WC collectifs,...

La guerre a empiré la situation, détruit des logements et on réquisitionne  en 1945. 

L'évolution du prix des loyers entre 1914 et 1948 est la suivante.

 

Prix des loyers

Prix de détail

1914

100

100

1930

206

611

1938

345

706

1948

586 10590

Les loyers "décrochent" des prix de détail dans l'entre deux guerres d'un facteur 7, mais comme ils restent à peu près stables durant la guerre alors que l'inflation galope, on arrive à une situation intenable en 1948 où le montant des loyers (pour ceux qui ont la chance d'être logé) est ridiculement bas.

En 1948 les français logés dépensaient entre 1et 3% de leurs revenus à leur loyer, les Anglais de 15 à 20%. La moyenne européenne  dans la future CEE était vers les 15%. 

On va donc instaurer "un loyer scientifique" dans les villes de plus de 100 000 habitants qui allait permettre de réévaluer les loyers anciens bloqués avec pour  but  de les amener à 4% du revenu moyen. par réévaluation de 20% par semestre, puis à 12% en 1954 et dans une phase ultérieure  à un "loyer de rentabilité". Le loyer "loi de 48" restait donc plafonné avec un droit de maintien dans les lieux pour le locataire et ses proches, une obligation de relogement en cas de reprise par le propriétaire, mais on promettait aux propriétaires de pouvoir effectuer des réévaluations de loyer.

Pour les nouvelles locations on avait le choix entre le modèle "scientifique" ou le loyer "forfaitaire" basé sur le loyer constaté en juillet 48 réévalué tous les six mois d'un pourcentage du montant du loyer initial (33% en 1949).

Les constructions postérieures au 1er septembre 1948 et les HBM n'étaient pas soumis à la loi.

La revalorisation devait s'arrêter en juillet 1954, mais le système n'avait pas prévu la pression populaire,  l'inflation et l'augmentation des salaires.

Le décret du 9 aout 1954 constate que le revalorisation des loyers  de la loi de 48 "demeure valable mais que la pratique la rendue inopérante" et que l'on doit prolonger et rénover le système de revalorisation. Les échéances électorales ne permettront pas de revaloriser fortement "le loyer scientifique". 

En 1958 on prévoit des possibilités de sortie de la loi de 48 des appartements mis "aux normes" ou vacants.

En 1986, sous le gouvernement Chirac et la présidence Mitterrand,  on trouva tout de même que cela avait assez duré et seuls les locataires entrés dans les lieux avant le 23 décembre 1986 bénéficient encore de la loi de 1948. Le dispositif de sortie pour les anciens locataires est complexe puisqu'il faut faire signer au locataire un bail de 8 ans.

Le maintien dans les lieux accordés aux héritiers n'est supprimé qu'en 2006 par la loi ELAN

En 2006, on avait 200 000 logements sous loi de 48, 140 000 en 2013 et probablement moins de 100 000 aujourd'hui, la plupart à Paris.

La catastrophe engendrée par le blocage des loyers aurait du servir de leçon aux pouvoirs publics mais comme tout ceci est oublié on y revient aujourd'hui au risque de bloquer à nouveau la construction et de diminuer le parc locatif privé. Il semble évident que la bonne solution est de construire  des logements dans un cadre agréable, facilement accessibles par les transports,  ce qui est de la responsabilité des pouvoirs publics et pas du marché.  

La loi de 48 à Paris dans le détail

Claudius Petit fait adopter à la chambre le principe de l'indexation des loyers sur les salaires durant l'été 48. Devenu ministre de la Reconstruction il fit adopter le 1er septembre 1948 une loi de fixation "scientifique" du loyer basée sur la "surface corrigée", le "coefficient d'entretien et de situation" et les "éléments du confort".
La surface est "corrigée "en ce sens que l'on tient compte de la nature des pièces. Le détail du calcul ci-dessous montre que l'enfer est pavé de bonnes intentions.
  • Une pièce habitable doit avoir au moins 9m² , 2,50m de plafond, une baie sur l'extérieur, avoir un chauffage, ne pas être en sous-sol de plus de 0,75m: on considère sa surface avec un coefficient 1. 
  • Une pièce secondaire doit avoir au moins 7m² et 2,20m de plafond, une baie sur l'extérieur, ne pas être en sous sol: sa surface et est comptée  avec un coefficient 0,9. 
  • Les annexes comprennent les couloirs et débarras de moins de 2m de large et d'une hauteur d'au moins 1,90m de hauteur : leurs surfaces sont comptés avec un coefficient 0,6. 
  • Les placards pris sur la pièce ne comptent pas, mais pris sur le mur ils s'ajoutent s'ils ont plus de  1,90m  de haut, sinon ils comptent pour 0,5m²  (de 1m² à 3m²)  ou 1,5m² (jusqu'à 10m²) ou 3m²  (au dessus de 10m²)
Dans le détail cela se complique encore. les chambres de domestiques, les salles de bains, les WC (plus petits que 2m²) ont un coefficient 1. Les cuisines d'au moins 4m² ont un coefficient 1,  mais les autres subissent un abattement de 10%, si elles sont cependant "logeables",  ou de 40% si elles ne sont que  des annexes. 

On calcule la surface avec les pondérations puis on applique ensuite un correctif en fonction de l'éclairement, de l'ensoleillement et de la vue 
  • éclairement : claire (coefficient 1), sombre une partie de la journée (0,8), à éclairer (0,6)
  • Ensoleillement: midi dégagé (1,1), Plus de 7h de soleil (1), 3 à 5h ( 0,9),1h30 à 3h (0,8), moins de 1h30(0,8 ou 0,7), pas de soleil (0,6)
  • Vue: agréable très dégagée (1,1), dégagée c'est à dire pas de vis à vis à moins de 15m (1), limitée sans attrait (0,9), désagréable ( 0,8)
Pour les pièces principales et secondaires il faut faire la moyenne des 3 coefficients et en multiplier la surface.
On applique ensuite un coefficient d'entretien et de situation.
Le coefficient d'entretien et de vétusté doit encourager le propriétaire à effectuer des travaux dans un immeuble "trop fréquemment abandonné ces dernières années pour des motifs d'ailleurs le plus souvent valables" . Pour l'encourager ...  on diminue de 70% la surface en cas de vétusté.
Le coefficient de situation tient compte des moyens de transport, de la proximité des squares et des commerçants . Il est fixé par la préfecture  et module la surface par un coefficient entre 0,7 et 1,3 à Paris

On obtient ainsi une première surface pondérée à laquelle on doit appliquer une surface fictive apportée par "les éléments de confort" (ou on trouve étonnamment les caves, les greniers et les placards) 
  • Absence d'ascenseur: réduction de 5% de la surface au 4e étage de 10% au 5e et de 15% au dessus. 
  • Chauffage central: + 1,75 m² pour une installation collective, + 1,50 m² pour une installation individuelle
  • Monte charge: + 0,50 m²
  • Electricité: + 1,5m². Gaz: +1,5m²
  • Point d'eau: +2 m², Point d'eau avec vidange: +3,5m² (pour ceux qui s'étonnerait de cette précision je citerais mes grands parents qui avaient l'eau mais pas d'écoulement: il fallait porter la bassine de sous l'évier aux WC du couloir)
  • WC: avec effet d'eau +4m², sans effet d'eau 2m²
  • SdB: baignoire +2m², lavabo +1m² 
  • Vide ordure : + 2 m²
  • Cave: + 1m² ou 2m² si plus de 10m² 
  • Grenier: + 0,5m² si moins de 3m² ensuite + 1,50 m² ou + 3m²
  • ...
On obtient ainsi la "surface corrigée"



NB: la loi Carrez actuelle est-elle  un progrès sur ces subtilités ? 

Ce n'est pas fini car il reste à appliquer un "prix technique" aux m² ainsi obtenu.
Ce prix doit permettre de fixer le loyer d'un local type à 4%  du salaire moyen départemental (ce salaire sert au calcul des prestations familiales)
Les appartements sont divisés en 7 catégories, plus une catégorie exceptionnelle (voir les  légendes des illustrations). Ce classement, fondamental pour la détermination du loyer, se fait par appartement et non par immeuble.
Le local type à partir duquel les calculs sont effectués est un 38m² de catégorie 3A. Les 10 premiers m² ont un prix technique de 19, 40 F et 11 et 9F pour les m² suivants. 
On obtient ensuite un barème pour les différentes catégories.

Curieusement la loi comporte un tableau des "valeurs locatives". Celui-ci comporte les valeurs à partir desquelles il serait rentable de construire et de louer un immeuble. Ces "valeurs locatives"  ne seront jamais atteintes par les réévaluations des loyers fixées annuellement. Il était électoralement impossible d'augmenter massivement les loyers sous loi de 1948. Dans les années 60, j'étais très jeune, mes parents habitaient un modeste immeuble Haussmannien. L'immeuble, qui avait été construit par une comtesse sous Napoléon III, fut vendu par lots  et devint une copropriété. Les différences entre les loyers des locataires sous loi de 48 et les nouveaux arrivants dans des appartements "rénovés" étaient considérables  et il y avait toujours quelques batailles entre nouveaux copropriétaires d'un appartement loué sous loi de 48 et leurs  locataires qui obtenaient toujours le maintien dans les lieux.  

La situation actuelle est la suivante (source service public)
Valeur locative mensuelle pour l'agglomération parisienne

Prix de base des m² de surface corrigée

Catégorie du logement

Pour chacun des 10 premiers m²

Pour chaque autre m²

II A

12,57 €

7,45 €

II B

8,64 €

4,68 €

II C

6,62 €

3,54 €

III A

4,01 €

2,15 €

III B

2,37 €

1,24 €

IV

0,26 €

0,12 €

Exemple :

Pour un logement de type II C avec une surface corrigée de 43 m2:

  • Calcul : (6,62 € x 10) + (3,54 € x 33) = 183,02 €
  • Conséquence : l'augmentation annuelle ne doit pas avoir pour effet de rendre le loyer supérieur à 183,02 €

Taux d'augmentation au 1er juillet

Sous réserve de ne pas dépasser le montant maximum de loyer, le taux d'augmentation applicable est de :

  • 0,92 % à partir du 1er juillet 2020
  • 1,70 % du 1er juillet 2019 au 30 juin 2020

Qui va prétendre qu'il est normal qu'un 43m² (pas de surface réelle mais "corrigée")  dans un immeuble correct  à Paris peut être loué  au maximum 180 € et qu'il est électoralement suicidaire de proposer une réévaluation de 10% par an ? 

La loi de 48 est une caricature de ce que peut concevoir  des technocrates adeptes d'un réglementarisme forcené, système  dont l'application est pilotée ensuite par des considérations électorales.

Ce qui parait incroyable c'est que l'on recommence aujourd'hui : le taux d'indexation annuel des loyers est maintenant calculé de telle manière qu'il décroche sur l'évolution des salaires, ce qui fait que les propriétaires "trichent" à la relocation, L'écart entre les loyers HLM et les loyers privés ne cessant d'augmenter, les maires des grandes villes prétendent tous qu'il faut plafonner les loyers. Le prix des logements parisiens s'envolent et la rentabilité locative diminue d'autant. La nouvelle réglementation thermique, partant d'un louable sentiment, va constater que la majorité des appartements parisiens sont F ou G sans possibilité d'amélioration.
On se lamente sur le faible taux de constructions neuves dans l'agglomération parisienne alors qu'il est évident que faute d'équipements et de transports les endroits ou construire des appartements "intéressants" n'existent pas. Le bourrage actuel des derniers endroits libres de Paris intra muros défigure des quartiers alors que Paris et sa petite couronne ont terriblement besoin d'espaces verts.

Mais ceci devrait faire l'objet de bien d'autres articles par de plus compétents que moi.

Sites et références