L'arc de Gaillon de la cour de l'école des Beaux Arts

A la révolution le château de Gaillon est une carrière de pierres. Alexandre Lenoir en récupère des éléments et élève l'arc de Gaillon  dans la seconde cour du musée des monuments français vers 1802. Conservé par Duban lors de l'aménagement de l'école des Beaux Arts, ses pierres regagnèrent Gaillon en 1977.

Mais à quoi correspondait l'arc de Gaillon dans le château ?

L'arc de Gaillon (ou galerie des cerfs) dans la cour des Beaux Arts, installé là par Duban vers 1836 et tel que les parisiens le connaitront jusqu'en 1977
L'arc de Gaillon tel qu'il était dans la seconde cour du musée des monuments français.
Cet arc  est à rapprocher de la porte dorée de Fontainebleau ou à celle du Castelnuevo de Naples 
Cette vue du château de Gaillon dans l'ouvrage du baron Taylor sur la Normandie représente en vérité la cour du musée des monuments français de Lenoir  (gravure par Fragonard en 1824)
Plan du Musée des monuments français. Les quatre façades de la cour B étaient des éléments du château de Gaillon . L'arc est à gauche dans l'axe de l'entrée sur la rue des petits Augustins
Détail du plan d'Androuet du Cerceau. Aucun  arc n'est visible
Détail d'un plan du XIXe siècle. Les destructions sont considérables, dans la cour il ne reste que la tour de l'escalier. Lenoir a emporté le décor du bâtiment transversal qui a totalement disparu. Il a aussi emporté les six arcades qui formait un "placage" sur la grant maison ( bâtiment en bas du plan à l'horizontal) 
En 2020, partie centrale de l'arc de Gaillon  dans la cour du château (porte de Gênes dans l'axe de l'entrée).
Derrière lui, la galerie reconstituée (visible à gauche dans la gravure de Fragonard de la cour du musée des monuments français)
L'arc vers 1830 alors que les autres éléments de Gaillon ont disparu.
Porte de Gênes dans l'album Lenoir et par Vauzelles. L'arcade haute porte probablement les armoiries d'Amboise 
Dans une  lettre de Jacopo Probo  à Isabelle d'Este, vers 1510,  on trouve : "la porte principale est en marbre de la main d'un bon faiseur, au dessus est sculptée l'histoire de la victoire  du roi de France contre Gènes, elle est sertie d'or avec de petites figures bien naturelles"
Le château de Gaillon fut construit par le cardinal Georges d'Amboise (1), ministre de Louis XII, vers 1500.

C'est un des plus beaux château de la Renaissance   dont on trouve la description dans Androuet du Cerceau (2). Au XVIII e siècle ce sera le cardinal Colbert qui construira de nouveaux pavillons classiques.  La révolution lui sera fatale; il est vendu au citoyen Darcy " qui en 12 ans parvient à réduire cet immense palais à l'état de ruines". Alexandre Lenoir visite le château et ramène des éléments pour son musée des monuments français

La seconde cour du musée, consacrée à la Renaissance, sera ornée de quatre façades du château de Gaillon.

"En entrant à droite on voit  une galerie couverte formée par huit colonnes arabesques qui supportent une frise représentant les Actes des Apôtres, divisés en neuf sujets, sculptés avec le plus grand soin, d'après les dessins de Raphaël une autre galerie composée par des pilastres chargés sur leurs faces, contrefaces et sur les côtés, d'arabesques de la plus grande beauté : ils soutiennent autant d'arcs chargés aussi de belles sculptures. Une frise arabesque, dans le style de l'antique, couronne ces arcades; de belles et grandes croisées, divisées par autant de trumeaux, montent à plus de quinze pieds de haut, et, ne formant qu'une masse d'ornements arabesques, terminent, avec leurs corniches, l'élévation des deux façades. Dans le milieu des trumeaux sont placés douze médaillons de la plus riche ordonnance, contenant, en façon de camée, des bustes en marbre des empereurs romains. Ces médaillons sont placés de manière qu'ils tournent régulièrement autour de la cour."(3).

Lenoir prévoyait aussi d'installer "une belle fontaine de marbre" venant du chateau et d'installer  dans la salle "la riche et belle boiserie de la chapelle haute du château" (4)

Enfin la galerie du fond " composée de deux étages, ornés d'arabesques et de colonnes  est formée par le milieu de deux grands arcs l'un sur l'autre et décorés avec la plus grande magnificence; ils sont chargés des ornements les plus exquis. L'arc inférieur, placé sur la même ligne que l'entrée, donnant sur la rue des Petits Augustins, laisse voir aussi le jardin Elysée ( 5)  et développe à l'œil un point de vue du plus bel effet. L'arc supérieur renferme une cuvette d'un travail soigné "

La "galerie du fond" est donc notre arc de Gaillon. 

A la Restauration, en 1816, le musée des monuments français sera fermé et beaucoup de monuments reprendront leur place d'origine (6) ou iront au Louvre. 

En 1836 Duban entreprend d'aménager l'école des Beaux Arts. L'arc de Gaillon est dans l'axe du Palais des Etudes projeté , l'architecte se contente de  le "régulariser"  sans le déplacer (7).

Le château de Gaillon est transformé par l'Empire en prison et après bien des vicissitudes est vendu  au sieur Akoum en 1945 qui s'empresse de faire paraitre  une petite annonce " à vendre, boiseries, sculptures" .

Il faudra attendre 1975 pour que l'état réussisse à racheter Gaillon.

En 1977 on trouve que l'arc de Gaillon encombre la cour des Beaux Arts et celui-ci est démonté et réexpédié à son lieu d'origine.(8)

Il se pose alors un problème (outre celui d'argent): le plan d'Androuet ne montre aucun arc de Gaillon. La gravure de Taylor dans sa description de la Normandie (9) ne montre pas la cour du château mais la reconstitution que Lenoir en avait faite dans son musée.

On conclut donc que l'arc de Gaillon, tel que l'a présenté Lenoir, n'a jamais existé au château.

On reconstitue les deux arcs superposés principaux à l'entrée de la cour (10) mais les quatre autres ouvertures restent sans emploi.

Cette "porte de Gênes" pose aussi problème.
Pourquoi est-elle sculptée sur ses deux faces si ce n'est que la façade d'un bâtiment ? 
Où se logeait les abouts des poutres du plancher ? 

Lenoir a effectivement réalisé dans son musée des montages fantaisistes (tombeaux d'Abélard, de Chabot,...).
Si on regarde les  gravures représentants l'arc alors que la "scénographie" de Lenoir a disparu, on ne voit pas pourquoi, ni comment, il aurait réalisé un montage d'éléments divers. 

Comment Lenoir aurait-il pu faire un montage aussi important ? N'est ce pas au contraire l'exacte reconstitution de ce qui existait, accolé à la façade du bâtiment, dans l'avant-cour de Gaillon ? 

C'est d'ailleurs ce que décrivait A Deville en 1850 dans l'introduction à sa publication des "comptes du chateau de Gaillon" (p LXXVIII) et Marius Vachon en 1910 (12)  :

"Les frais de la construction du portique d'entrée sur la cour d'honneur (1) figurent en partie dans les Comptes : « Id (rayé au manuscrit)... pour la maçonnerye du portail qui clost la court « où est l'entrée de Gennes, par mandement de monsr de Sauveterre et « quictance du XXIXe Septembre ve neuf, LXVIII" v. s. »

La façade extérieure du portique, en avant-corps, se composait d'un rez-de-chaussée et de deux étages, que couronnait un grand comble à la française. Le rez-de-chaussée comprenait : une arcade de milieu, en anse de panier, servant de passage aux gens à cheval ou en litière, flanquée de deux colonnes mi- engagées, au fut cannelé, supportant une longue architrave à décor de chimères et d'arabesques, que soutenaient aux angles des pilastres ; à droite, une fenêtre à meneaux, au chambranle de pilastres très ornés et au fronton en coquille ; à gauche, un panneau ouvert d'une poterne, et orné de pilastres, pour faire pendant de décor à celui de la fenêtre. Le premier étage présentait également, en son milieu, une grande arcade, mais aveuglée, qui devait contenir quelque bas-relief ou des statues ; et, de chaque côté, une grande fenêtre à double meneau et à encadrement de pilastres couverts d'arabesques. Le dernier étage était simplement ajouré de deux fenêtres en aplomb sur celles de l'étage au-dessous. Chaque étage était séparé par un fin bandeau en saillie, richement orné ; une fenêtre, à chambranle de pilastres et à fronton en coquille, éclairait les étages et le rez-de-chaussée de l'aile de l'avant-corps.

La façade intérieure du portique avait les mêmes dispositions architecturales et décoratives, sauf qu'au rez-de-chaussée il y avait deux fenêtres au lieu d'une. L'arcade aveugle du premier étage contenait une longue inscription dédicatoire et le trumeau de l'étage supérieur, un motif d'une forme carrée dans lequel deux angelots soutenaient les armes de France et celles de la maison d'Amboise.

(1) En 1802, quelques années après la démolition du château de Gaillon, Alexandre Lenoir put faire acheter par l'Etat ce portique, et le transporta, pierre par pierre, au Musée des monuments français; aujourd'hui, ce chef-d'œuvre orne la première cour de l'Ecole nationale des .Beaux-Arts à Paris."

  1. Tombeau splendide dans  la chapelle de la Vierge de la cathédrale de Rouen (qui abrite deux autres beaux tombeaux). Son successeur et neveu profita du monument : il poussa la statue de son prédécesseur pour faire de la place à la sienne. 
  2. Les plus excellents bâtiments de France (à la fin du volume 1). Malheureusement Androuet s'intéresse surtout aux jardins et à "l'ermitage" de la Maison Blanche, petit pavillon disparu depuis longtemps.  
  3. Alexandre Lenoir. Description du musée des monuments français  n°558bis
  4. La fontaine de la cour du château sera détruite un peu avant la révolution, il s'agit du reste d'une fontaine provenant du parc aujourd'hui au Louvre . La boiserie formait huit stalles. 
  5. Jardin que Lenoir avait agrémenté de tombeaux (voir l'article
  6. En particulier les tombeaux de St Denis (que l'on agrémenta de quelques colonnes provenant de Gaillon) . Les éléments sculptés de Gaillon iront au Louvre et probablement au dépôt de l'ile aux cygnes, les stalles de la chapelle haute à St Denis et à Cluny.
  7. Magasin pittoresque 1834 p 284
  8. Il reste aussi des éléments à l'école des Beaux Arts.
  9. La cour était surtout encombrée par un préfabriqué, conséquence de 1968 (voir l'article)
  10. Voyages pittoresques et romantiques dans l'ancienne France 
  11. La construction d'un escalier de quelques marches  devant la porte est incompréhensible: Croit-on que le seigneur des lieux entrait à pied dans sa cour d'honneur ?
  12. La Renaissance Française: L'architecture nationale, les grands maîtres maçons.1910.

Sites et références 




Que sont devenus les décors de Gaillon ? 

Plan de Gaillon aujourd'hui d'après Elizabeth Poulain.
Du château de la Renaissance seuls subsistent: le pavillon d'entrée, la chapelle basse , la Grant maison, la galerie sur le Val et la tour de la syrène. Les autres bâtiments ont été construits au XIXe siècle par l'administration pénitencerie.
De l'extension du XVIIIe siècle il ne reste que le pavillon Colbert. 
Depuis 1977 on entreprend, avec des crédits très faibles, la restauration du château. Le pavillon d'entrée a retrouvé sa toiture, la charpente et la toiture de la tour de la syrène ont été refaites ainsi que la toiture du pavillon Colbert, on a rouvert la galerie sur le Val et remonté des éléments rescapés du musée de Lenoir. Le château souffre périodiquement d'éboulements de ses murs de soutènement.
Fontaine de la cour de Gaillon par Androuet du Cerceau. Elle fut importée d' Italie par un Génois, Bertrand de Meynal,  l'eau y étant amenée par un fontainier français, Pierre Valence.
La fontaine disparut au milieu du XVIIIe siècle
Remontage d'éléments de  fontaine de Gaillon par A Lenoir au musée des monuments français. ll s'agit d'une seconde fontaine située dans le jardin (ref: Androuet du Cerceau, Deville, Courajod), 
Une reconstitution de la fontaine de Gaillon existait dans la salle Renaissance du Crystal Palace de Sydenham Hill
Six arcades remontées dans la cour des monuments français (façade de  droite dans la gravure de Fragonard). Viollet le Duc reproche aux voutes de reposer sur des culs de lampe (coté grant maison ?) mais ne note pas d'arcs "suspendus" conformément à la restitution de Lenoir. De tels arcs ont bien existés mais où
Cinq des six arcades de Lenoir revenues à leur emplacement d'origine. Les arcs "suspendus" semblent trouver une  justification dans des dessins ( restauration par UchardSilvestreVauzelle), dans Deville (1) et dans des photos des Beaux Arts.  Les pierres disparues n'ont pas été remplacées, le montage ferait honte à n'importe quel restaurateur mais il a le mérite d'exister.
Pavillon d'entrée du château par TaylorL'entrée du château a retrouvé sa couverture, la charpente est en béton 
Aquarelle de l'autre pavillon d'entrée (appelé portail du jardin ou pavillon Delorme) à l'arrière du château, aujourd'hui disparu. On aperçoit dans la cour les arcades et les restes de la chapelle haute

Vue romantique dans Taylor  de l'entrée arrière du château et d'éléments de statuaire du château parmi lesquels la fontaine de Lenoir et le bas relief de St Georges terrassant le dragon.
L'escalier de Gaillon, décrit par Viollet le Duc dans son dictionnaire. Le dessin semble fantaisiste car il représente la fontaine alors qu'elle a été détruite avant la révolution et derrière elle l'arc de Gaillon en un endroit ou personne n'a imaginé qu'il fut.
La chapelle haute semble déjà détruite, Lenoir en a emmené les stalles et le bas relief de St Georges terrassant le dragon (aujourd'hui au Louvre)
La chapelle haute de Gaillon a été détruite mais une partie de ses  stalles ont trouvé refuge au musée des monuments français, puis dans le chœur de Saint Denis et à Cluny (maintenant à Ecouen). c'est le seul exemple de marqueterie française de cette époque.
Notons que Gaillon possédait aussi une bibliothéque d'ouvrages religieux, certains se trouvent aujourd'hui à la BNF. 
 

  1. "Deux arceaux étaient jetés d'un pilastre à l'autre; ils se trouvaient divisés par une tête de pilastre, suspendue à vide, en forme de pendentif, qui leur servait de clef " (p LX).  Le seul dessin d'époque, de Silvestre, est "fantaisiste" et ne permet pas de situer où se trouvait ce type d'arc.